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Ki-no-ko fungi
5 janvier 2020

Un sosie du Lepista inversa a produit en Savoie un terrifiant syndrôme... Japonais!

Clitocybe amoenolens 1997_09 06 recadre

par Guy Fourré 1997

Au mois de février 1997 j'avais été contacté par le Dr Anne Claustre, du Centre Anti-Poisons de Grenoble, qui recherchait des informations sur un dangereux cham­pignon japonais, le Clitocybe acromelalga : cette espèce produit une intoxication très particulière, en tous points semblable aux symptômes observés lors d'une série d'intoxications survenues... en Savoie à l'automne dernier !

J'avais déjà été informé de cette curieuse affaire, quelques semaines plus tôt, par mon ami et correspondant Daniel Guez, mycologue français vivant au Japon ( nous avions publié ensemble un article sur les champignons exotiques dans le bulletin de la Fédération Mycologique Dauphiné-Savoie 1 ). Voici ce que j'ai pu apprendre par la suite...

Au début de septembre 1996, en Savoie, des champignons ressemblant à des Clito­cybes retournés ( Lepista inversa) avaient été récoltés et consommés par plusieurs familles, dans la haute vallée de la Maurienne, entre Lanslebourg et Bonneval-sur­-Arc.

Cinq personnes, de trois familles différentes, allaient être intoxiquées par ces cham­pignons : une jeune fille demeurant à Bessans, une femme et un jeune garçon à Bon­neval-sur-Arc, et deux membres du personnel du Centre International de Séjour de Lanslebourg.

Les symptômes, apparus 24 heures après le repas, étaient identiques pour les cinq personnes : fourmillements, picotements, engourdissement des doigts et des orteils. Pas de vomissements ni de diarrhée, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des cas d'intoxications.

Ces malaises se prolongèrent pendant quinze jours puis disparurent sans séquelles pour deux des intoxiqués. Les trois autres devaient éprouver en plus de très vives douleurs aux pieds et aux mains, qui enflaient et présentaient des signes d'inflammation. Les analgésiques habituels se révélant inopérants, ces trois personnes furent hospitalisées.

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1. FOURRÉ G. ET GUEZ D., 1996 - Champignons exotiques ( suite ) : La piste du «faux vrai Shimeji » conduit à une rarissime espèce de Bulliard ! - Bull. Fédér. Mycol. Dauphiné-Savoie -142 : 4-15
Société Mycologique du Massif d'Argenson - Bulletin N°16         Page : 7


 L'enfant fut le premier rétabli. Sa mère vit les douleurs s'atténuer et disparaître au bout de quelques semaines. Mais pour le cinquième intoxiqué, les douleurs ne ces­saient de s'aggraver, au point qu'il dut recevoir un traitement à base de morphine. Six mois après, ce patient éprouvait toujours de vives douleurs au simple contact des couvertures et surtout à la marche dans des chaussures serrées, à tel point qu'il envisageait de changer de métier, étant accompagnateur en montagne ! Un an après, il garde des séquelles.

On devait apprendre par la suite qu'il y a quinze ans ( environ ), deux autres person­nes avaient présenté des symptômes analogues, après avoir consommé des champi­gnons récoltés dans le même secteur...

Un « champignon tortionnaire » japonais

Cette expression était le titre d'un article publié en 1989 dans le bulletin de la Société Mycologique de France par Henri Romagnesi, d'après les informations qui lui avaient été fournies par Daniel Guez. Le terme de « tortionnaire » n'était nulle­ment exagéré, comme on va le voir avec le résumé des publications traduites par Toshie Guez, l'épouse de Daniel.

Le Dokou-sassako ( Clitocybe acromelalga ), est aussi appelé, au Japon, « Yakédo-Kin », ce qui signifie « champignon aux brûlures ». Il produit un ensemble de troubles dont l'évolution a été précisée par Nakamura & al. :

- moins de 24 h après la consommation des champignons : lourdeur d'estomac, nausée, asthénie, sensations anormales et désagréables, mais absence notable des troubles gastro-intestinaux habituels dans les intoxications fongiques ;

- 2 à 4 jours après : raideur, picotement et sensation de brûlure au niveau des doigts et des orteils, avec gonflement, rougissement, engourdissement des extrémités. Les douleurs augmentent pour atteindre leur maximum au 6ème jour et persistent jusqu'au 10 à 20èrne jour. La douleur augmente au moindre contact ou réchauffe­ment. Elle diminue dans l'eau froide ou glacée. Des picotements et sensations de brûlure peuvent toucher également l'oreille externe, le centre du visage, l'abdomen et le pénis ! Ces douleurs sont parfois si violentes que le patient ne peut plus mar­cher, ni s'alimenter, ni trouver le sommeil. Les traitements anti-douleur sont sans effet.

Société Mycologique du Massif d'Argenson - Bulletin N°16         Page : 7



Les bains d'eau froide procurent un léger soulagement mais la douleur reprend dès que cesse l'immersion.

L'atténuation des douleurs par des bains froids conduisait parfois les victimes à y rester si longtemps qu'il en résultait une nécrose des tissus pouvant aller jusqu'à lais­ser apparaître l'os ! Et des amputations ont été envisagées devant l'ampleur des ulcè­res provoqués par ce faux remède de l'eau glacée...

Ces symptômes très douloureux peuvent durer plusieurs mois, mais en général ils finissent par disparaître sans laisser de séquelles. Cependant des cas de décès ont été rapportés, ils étaient dus à l'épuisement général causé par les douleurs permanentes, l'insomnie et l'impossibilité de s'alimenter, ou/et aux infections locales provoquées par le trempage prolongé dans l'eau glacée.

Parmi les cas de décès rapportés par d'autres spécialistes japonais ( Motoyama, 1973 ), les signes annonciateurs étaient parfois l'insomnie totale, avec tachycardie et désordre psychique. En 1916, dans le département de Niigata le Clitocybe acromelalga aurait provoqué la mort d'une femme et de... son cheval, intoxiqué lui aussi et « dans un état de fatigue extrême » !

Divers traitements ont été essayés, la plupart du temps sans succès. L'hémoperfu­sion et l'hémodialyse auraient donné des résultats dans certains cas. Le traitement de fond de la douleur avec les analgésiques habituels est sans effet. L'anesthésie péri­durale diminue sensiblement la douleur, de même que les injections de morphine dans l'espace épidural. Les perfusions intraveineuses d'acide nicotinique et d'ATP 1 peuvent également atténuer la douleur et les autres symptômes. Des injections d'atropine et de céphanlatine en intraveineuses apportent une légère amélioration. Mais aucun de ces traitements ne semble être en mesure de mettre fin rapidement aux troubles constatés.

Un sosie du Lepista inversa !

Sur le plan botanique, le Clitocybe acromelalga ( nom d'espèce qui évoque les dou­leurs aux extrémités ) ressemble énormément à notre Lepista inversa : même taille moyenne, même silhouette en entonnoir, avec marge enroulée, mêmes couleurs variables du chapeau allant du jaune orangé au brun rougeâtre, mêmes lames lon­guement décurrentes et très serrées, allant du crème pâle à l'orangé ( restant plus pâle pour le Japonais ),

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1. A.T.P. : Acide adénosique, synonyme Triphosadénine, substance utilisée comme reconstituant, mais qui ne semble pas disponible en France.

Société Mycologique du Massif d'Argenson - Bulletin N°16         Page : 8


même pied concolore au chapeau. D'après Daniel Guez, qui a vu les deux, si on les trouvait côte à côte sur le terrain, il serait impossible de les distinguer l'un de l'autre...

Seul le microscope doit permettre, en principe, de les séparer : notre clitocybe inversé a des spores légèrement verruqueuses ( ce qui conduit les auteurs modernes à le placer dans le genre Lepista ), alors que acromelalga serait un vrai Clitocybe à spores parfaitement lisses.

Le Clitocybe acromelalga a été signalé d'abord dans les forêts de bambous, puis sous ormes du Caucase et camélias, hêtres et chênes mélangés et divers taillis.

Hypothèses sur l'intoxication savoyarde...

On considérait jusqu'à présent que les 12 000 kilomètres séparant la France du Japon mettaient nos mycophages à l'abri d'une confusion entre les deux espèces. Mais le syndrome de l'intoxication par le Clitocybe acromelalga est apparemment unique au monde... Et les symptômes des intoxications survenues en Savoie sont très semblables à ceux qui ont été rapportés par les auteurs japonais...

Mais comme il ne restait pas de restes formellement identifiés des récoltes ayant provoqué les intoxications, on ne peut formuler que des hypothèses sur leur origine :

1 ) Le champignon japonais est-il venu s'installer en Savoie ?

Peut-on retenir l'hypothèse de l'implantation en Savoie du Clitocybe acromelalga, qui n'était connu qu'au Japon jusqu'à présent ? Cela n'a rien d'invraisemblable, on sait par exemple que l'Anthurus ( Clathrus archeri) est passé directement de l'Australie à l'Europe via la laine des moutons... Et Daniel Guez dit qu'au Japon, le Clitocybe acromelalga pousse dans une zone froide et montagneuse ( station de ski en hiver ) comparable par son climat à la vallée de la Maurienne...

Le Dr Richard Massa, de Lanslebourg, qui a soigné deux des intoxiqués, nous a donné une information qui pourrait conforter cette première hypothèse : il existe en effet à proximité ( à Lanslevillard ) un centre de vacances d'Air France, qui reçoit beaucoup de personnels naviguant dans le monde entier. Or depuis que ce centre existe, on a vu apparaître dans le secteur quelques cas étranges de maladies tropica­les... Il ne me paraîtrait pas invraisemblable que des spores du champignon, comme les agents d'infection de certaines maladies exotiques, aient « voyagé » avec les pilotes d'Air-France...

                                                          Société Mycologique du Massif d'Argenson - Bulletin N°16      Page : 9


 

2 ) Une espèce rare et méconnue, différente du champignon japonais mais produisant à peu près le même syndrome.

Le Dr Massa avait récupéré l'an dernier deux exemplaires qui proviendraient de l'une des récoltes ayant provoqué des intoxications, entre Bessans et Bonneval-sur-­Arc. Le praticien avait envoyé l'un de ces exemplaires - le seul qui était à peu près en bon état - au mycologue bien connu Marcel Locquin, qui est un de ses amis. M. Locquin, que j'ai également interrogé par téléphone, a déterminé ce champignon Clitocybe subinvoluta WG. Smith, et il a été frappé par son odeur suave, douceâtre, qui n'existe pas chez le Lepista inversa. Il a trouvé des spores lisses, subovoïdes à sublarmiformes, qui pourraient correspondre à subinvoluta.

Il s'agit d'une espèce très rare et qui semble inconnue de la plupart des auteurs modernes. Marcel Bon le décrit dans sa monographie des Documents mycologiques ( 1983, fasc. 51 : 12 ) en le classant dans la section geotropae. Et il renvoie à Cooke et à une planche de Lange ( 34-G ), qui représente deux champignons, l'un ressem­blant à une miniature de Cl. geotropa, et l'autre, plus en entonnoir ( plus proche du L. inversa ) considéré comme variété du premier ( avec un point d'interrogation ). L'odeur qui a frappé Marcel Locquin n'est pas mentionnée.

Ce Clitocybe subinvoluta, décrit d'abord en Amérique, semble trop rare pour que sa comestibilité ou son éventuelle toxicité aient pu être précisées. Il ne serait donc pas impossible qu'il produise un syndrome analogue à celui du Clitocybe acromelalga japonais.

3 ) Dernière nouvelle : un Lepista non identifié... :

Une expédition à Lanslebourg a été organisée le 6 septembre 1997 - juste un an après les intoxications qui avaient suivi les récoltes faites au début de septembre 1996 - par un excellent mycologue, Robert Garcin, de Grenoble, avec trois méde­cins toxicologues du Centre Anti-Poison de Grenoble ( dont le Dr Claustre ) et un pharmacien mycologue.

Ces « enquêteurs » ont interrogé l'une des victimes, qui avait enfin obtenu des préci­sions sur la station de la part du récolteur. Les champignons auraient été récoltés juste derrière le Centre International de Séjour, et un an après, le groupe de méde­cins et mycologues a retrouvé à cet endroit une centaine de champignons ressem­blant beaucoup au Lepista inversa. Les premiers examens au microscope, par Robert Garcin, semblent indiquer qu'il s'agirait d'un Lepista, à lames séparables et spores cyanophiles, mais différent du Lepista inversa, ne serait-ce que par sa très forte et

Société Mycologique du Massif d'Argenson - Bulletin N°16                            Page : 10


 frappante odeur suave ( ce qui rejoint les observations faites par Marcel Locquin ). Mettre un nom d'espèce sur cette récolte n'est pas évident, et des exem­plaires viennent d'être envoyés à d'autres grands mycologues, au moment où nous rédigeons cet article.

 Il y aurait donc eu plusieurs récoltes, dans des stations différentes, de ce champi­gnon encore mystérieux mais qui produit des intoxications inquiétantes. Une seule chose semble certaine : la ressemblance de ces champignons avec le clitocybe retourné ( Lepista inversa).

 En conclusion, compte tenu de la gravité de ce genre d'intoxications, de la présomp­tion de responsabilité d'une espèce ressemblant fortement au Lepista inversa, de l'impossibilité de distinguer ce champignon du Clitocybe acromelalga s'ils venaient à fructifier côte à côte, ou/et de l'éventualité d'une espèce européenne produisant les mêmes symptômes, il me paraît opportun de proscrire la consommation du clito­cybe retourné. Cette attitude prudente sera d'autant plus facile à adopter que cette espèce n'est qu'un bien médiocre « comestible » !

 Guy FOURRÉ (1)

 Bibliographie

 GUEZ D., 1990 - Aperçu sur la flore mycologique du Japon. Bull. Féd. Myc. Dauphiné-Savoie 116:12-16.

ICHIMURA T., 1918 - A new poisonous mushroom - Botanical Gazette, Tokyo, Vol. 65 : 109-111.

 NAKAMURA K., SHOYAMA F., TOYAMA J. & TATEISHI K., 1987 - Dokusasako poisoning - The Japanese Journal of Toxicology, O : 35-37 ( article en japonais, traduit par Toshie Guez.

 ROMAGNESI H., 1989 - Un champignon tortionnaire japonais : le Dokou-Sassa-Ko - Bull. Soc. Mycol. de France -T. 105 ( 3 ) : 131-132

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 1. Guy Fourré - 152 rue Jean Jaurès - 79000 Niort - Tél. et fax : 05 49 09 25 87

Société Mycologique du Massif d'Argenson - Bulletin N°16                            Page : 11


 

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