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Ki-no-ko fungi
5 janvier 2020

A propos de Clitocybe amoenolens Malençon

Clitocybe amoenolens (D Borgarino)

Bull. Féd. Myc. Dauphiné-Savoie, 1998, 151: 5-8

par Pierre Neville* & Serge Poumarat**

(*) 508, av. de Mazargues — Bât. 2 — 13008 MARSEILLE

(**) 38-40, chemin de la Soude — Le Cid N. 22 — 13009 MARSEILLE

Résumé: Charignon & Garcin (1998) signalent que l'ingestion d'un Clitocybe indéterminé, récolté en Savoie, provoque une intoxication comparable à celle due à une espèce japonaise, Clitocybe acromelalga Ichimura. Le champignon incriminé en France correspond à Clitocybe amoenolens Malençon, qui est retrouvé sporadiquement depuis quelques années dans tout l'arc alpin français.

Title: About Clitocybe amoenolens Malençon.

Summary: Charignon & Garcin (1998) have reported that the ingestion of an indeterminate Cli­tocybe, gathered in Savoie (French Alps), causes an intoxication like this due to an Asiatic spe­cies, Clitocybe acromelalga Ichimura. The incriminated mushroom in France corresponds to Cli­tocybe amoenolens Malençon, which has been sporadically gathered for the last few years in all the French Alps.

Après Fourré (1997), Charignon & Garcin (1998) viennent de publier un article dans lequel ils signalent un nouveau champignon toxique pour la France. Il s'agit d'un Clitocybe indéterminé qui provoquerait des troubles comparables à ceux dus à la consommation d'une espèce que l'on rencontre au Japon et en Corée, Clitocybe acromelalga Ichimura dont on trouvera des illus­trations en couleurs dans Kawamura (1954 : fig 426, aquarelle), Imazeki & Hongo [1957:pl. 5, fig. 32 (aquarelle); 1965:pl. 64, fig. 381 (photographie)] et Imazeki et al. (1988: 68, trois photogra­phies), ainsi qu'une description avec présentation des symptômes et des toxines responsables d'après Guez par Romagnesi [1989:(131)-(132)], par Guez lui-même avec une photographie (1990:14-15) et Fourré (1997 :7-8).

Comme le champignon oriental, le Clitocybe récolté à Lanslebourg, en Savoie (73) entraîne, en particulier, des douleurs violentes et persistantes dans les extrémités des membres (d'où l'épi­thète acromelalga attribuée par Ichimura, qui était aussi médecin,  au champignon japonais : du grec akros = extrémité, melos = membre (ou articulation selon Romagnesi) et algos = douleur. Fourré (1997) a lui aussi relaté les faits observés en Savoie en signalant, en outre, une autre intoxication similaire qui aurait eu lieu antérieurement dans la même région.

Le champignon incriminé a une apparence trompeuse car il fait plutôt penser à un Lepista. Mais ses spores lisses et ses lames fortement décurrentes orientent vers le genre Clitocybe. La des­cription et la photo en couleurs qu'en donnent Charignon Garcin (1998:12-13) nous ont per­mis de reconnaître une espèce que nous avons eu la chance d'avoir en mains à plusieurs reprises. La première des récoltes que nous avons pu étudier a été faite par notre ami D. Ville­neuve le26.10.1992, dans la région de Guillestre, dans les Hautes-Alpes (05) sous résineux (Pins silvestris dominant). Elle nous a posé, au départ, des problèmes de détermination iden­tiques à ceux rencontrés par Charignon & Garcin (1998) et par tous les mycologues qu'ils ont consultés.

C'est grâce à l'un des caractères troublants et remarquables de cette espèce que nous sommes parvenus à une détermination.


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Il s'agit de sa forte odeur aromatique, que nous avons décrite comme il suit: «d'Inocybe corydalina ou d'un mélange rappelant celles de Tricholoma caliga­tum et de la fleur d'oranger.» (Poumarat & Neville, 1993:17). Il fallait donc trouver un Clitocybe à odeur agréable (ce qui donne en latin: amoenolens). Mais où chercher ? Comme beaucoup de mycologues méditerranéens, lorsque nous rencontrons une espèce qui ne figure pas dans les flores classiques pour la France ou l'Europe (Kühner & Romagnesi, 1953; Moser, 1978), nous consultons la «bible» que constitue la Flore du Maroc de Malençon & Bertault (1975). Et la réponse est là, pages 138-141, figure 21 et planche en couleurs 8. Ce champignon à «bonne odeur» est:

Clitocybe amoenolens Malençon in Malençon & BertaulT 1975, FI. Champ. Sup. Maroc, Vol 2:141.

Iconographie : Malençon & Bertault (1975:pl. 8 trop jaune); Poumarat (in Poumarat & Neville, 1993:48); Bon (1997:pl. 2, fig. 3); Moreau (in Charignon & Garcin, 1998:12).

Bien entendu, nous avions d'abord utilisé la première clé sur les Clitocybe de BON (1983:16) qui signalait déjà ce taxon. Nous avons ainsi été orientés vers Clitocybe amoenolens ce qui nous a conduits à la consultation de l'ouvrage de Malençon & Bertault (1975). Aujourd'hui, Bon (1997:43) le classe dans le sous-genre Clitocybe, section Gilvoideae (Harm.) Big., sous-section Gilvoideae.

Si les tentatives de détermination du Clitocybe savoyard n'ont pas abouti, c'est, nous semble-t-il, pour deux raisons tenant à l'évaluation de deux caractères, l'un macroscopique, l'autre micro­scopique.

Le premier concerne l'aspect du revêtement piléique. Charignon & Garcin (1998:12) le décrivent comme il suit: «Cuticule subtomenteuse à franchement méchuleuse-squamuleuse au moins au disque, ornée de minuscules écailles plus ou moins dressées et à pointe roussâtre au moment de la cueillette, puis apprimées et entièrement rousses, plus foncées que le fond (aspect de Polyporus lentus sous la loupe, en plus atténué)...» En fait, le revêtement est subto­menteux à l'origine, mais, sous l'influence des conditions ambiantes, le tomentum peut, à matu­rité, se rompre en des sortes de petites écailles, donnant secondairement cet apparence «méchuleuse-squamuleuse».

Le second caractère pouvant paraître contradictoire concerne les spores que Charignon & Garcin (1998:13-14) donnent comme cyanophiles, selon, semble-t-il, les indications de Bon (in litt.) ou avec sa confirmation après examen du matériel qu'ils lui ont com­muniqué (voir Charignon & Garcin, 1998:14). Bon (1987:28; 1997:43) tout comme nous (Poumarat & Neville, 1993:17),donne les spores de C. amoenolens comme non cyanophiles !

Cela signifie-t-il que la récolte savoyarde ne peut pas être C. amoenolens?
Nous ne le croyons pas car la cyanophilie sporique est un caractère dont l'appréciation dépend beaucoup à la fois de l'ob­servateur et de la qualité aussi bien du bleu lactique que de celle de la préparation microsco­pique. Il suffit pour s'en convaincre de citer une remarque formulée par Bon lui-même (1997:15) dans l'introduction de sa récente flore des Clitocybe: «Malheureusement la cyanophilie est loin d'être un caractère solidement établi du fait de quelques interprétations contradictoires dans la littérature. Ceci semble provenir du fait que certaines espèces ont une cyanophilie interne (non pariétale), considérée positive par certains auteurs, alors que, pour nous, et sans doute aussi pour Harmaja, il n'est question que de la coloration de la paroi. De ce fait, quand l'intérieur est coloré, il est parfois difficile de certifier que la paroi est parfaitement cyanophile ou non, d'où la possibilité d'erreurs d'interprétation.»

C'est pourquoi, malgré ces petites divergences appa­rentes, nous sommes convaincus que le Clitocybe savoyard est bien C. amoenolens.

Il revient à Bon (1987:28) d'en avoir signalé la première récolte pour la France sur le versant sud de la vallée de la Maurienne, Savoie (73). Quant à nous, outre la récolte de Guillestre (herbier Pou­marat No 92.10.25.217) dont nous avons parlé plus haut, nous en avons fait une seconde le 10.10.93 (herbier Poumarat No 93.10.09.222) dans la région d'Embrun, Hautes-Alpes (05), sous mélèzes (Larix decidua), l'ensemble de ce matériel ayant servi à la rédaction d'un article destiné à présenter cette rare espèce (Poumarat & Neville, 1993).

Depuis, l'un de nous (P.N.) a eu l'occasion de revoir Clitocybe amoenolens (herbier Neville No 96.10.07.34 bis) lors des Journées conjointes de la Société Mycologique de France (SMF) et de la Fédération des Associations Mycologiques Méditerranéennes (FAMM), du 7 au 12.10.1996, à la Colle-sur-Loup (06). Comme on pouvait s'y attendre, il avait été étiqueté dans l'exposition sous le nom d'une espèce du genre Lepista, détermination erronée que nous avons pu faire modifier. Cette récolte, qui a été faite à Gréolières-les-Neiges, Alpes-Maritimes (06), est mentionnée dans la liste des espèces réunies à l'occasion de ces journées (Anonyme, 1998:70).

Comme on le voit, C. amoenolens d'abord décrit du Maroc, semble présent, quoique rare, dans tout l'arc alpin français. Si sa toxicité de type Clitocybe acromelalga est confirmée, il faudra que les consommateurs de Lepista du groupe inversa redoublent de prudence car les confusions entre les deux taxons paraissent classiques. En effet, même Malençon & Bertault (1975:140) notent: «Les exemplaires âgés, devenus cyathiformes et très colorés, ressemblent à première vue au C. inversa... »! Voilà un cas de plus qui allonge la longe liste des risques de confusion qui doivent dissuader les récolteurs, particulièrement ceux du type « mange-tout», de consommer les champignons inconsidérément. C'est aussi un nouvel exemple qui doit convaincre les déterminateurs d'association de ne pas engager leur responsabilité en déclarant comestible tel ou tel champignon qu'un récolteur moins averti s'empressera de confondre avec un sosie dangereux!

Il reste maintenant aux chimistes et aux toxicologues à nous dire quelles substances, chez cette espèce, sont responsables du syndrome observé. Peut-être que, comme pour Clitocybe acro­melalga, il s'agit d'aminoacides (acide acromélique A et B) qui ressemblent à des neurotransmetteurs acides et pourraient intervenir directement sur le système nerveux (Guez, 1990:14).

Nous tenons à remercier notre ami Guy Fourré pour la documentation qu'il nous a très aimable­ment fournie.

Bibliographie

ANONYME, 19986.- Session de la S.M.F. à la Colle-sur-Loup du 7 au 12 octobre 1996. Bull. Soc. Mycol. France, 114 (1) : 69-76.

BON M., 1983.-Les Tricholomataceae de France et d'Europe occidentale. (6e partie : Tribu Clitocybeae Fay.). Clé monographique. Doc. Mycol, 13 (51) : 1-53.

BON M., 1987c.- Quelques espèces intéressantes étudiées au stage FMDS de Saint-Germain-Monts-d'Or. Bull. Féd. Myc. Dauphiné-Savoie, 105 : 28-30.

BON M., 1997.- Les Clitocybes, Omphales et ressemblants. Tricholomataceae (2). Clitocyboideae. Flore Mycologique d'Europe. 4. Doc. Mycol., Mémoire Hors Série N° 4, Amiens, 181 p. dont 4 pl. en couleurs.

CHARIGNON Y. & GARCIN R., 1998.- Un nouveau champignon toxique en France. Féd. Myc. Daupiné-Savoie, 149 : 11-14.

FOURRÉ G., 1997.- Intoxications: un sosie du Lepista inversa a produit en Savoie un terrifiant syndrome... japo­nais. Bull. Soc. Mycol. Massif d'Argenson, 16 : 6-11.

GUEZ D., 1990.- Aperçu sur la flore mycologique du Japon. Féd. Myc. Dauphiné-Savoie, 116 :12-14.

IMAZEKI R. & HONGO T., 1957 (22e réimpression 1978). - Coloured illustrations of Fungi of Japan. Vol. 1, Hoikusha Publ., Osaka, 181 p. + 68 pl. en couleurs.

IMAZEKI R. & HONGO T., 1965 (14° réimpression 1981). - Coloured illustrations of Fungi of Japan. Vol. 2, Hoikusha Publ., Osaka, 238 p. + 64 pl. en couleurs.

IMAZEKI R., OTANI Y. & HONGO T., 1988. - Fungi of Japan. Yama-Kei Publ., Tokyo, 624 p.

KAWAMURA S., 1954.- Icones of Japanese fungi. Vol. 4. Kasamashobo, Tokyo, 3 + 401-499 p. + 16 pl. en couleurs (figurant 71 espèces).

KÜHNER R. & ROMAGNESI H., 1953. - Flore analytique des champignons supérieurs. (Agarics, Bolets, Chante­relles). Masson, Paris, 557 p.

MALENÇON G., 1959. - Champignons du Moyen Atlas. C. R. Soc. Sc. nat. et phys. Maroc, 25 (1): 23.

MALENÇON G. & BERTAULT R., 1975. - Flore des champignons supérieurs du Maroc, tome 2. Trav. Inst. Scient. Chérifien et Facultédes Sciences de Rabat, Série Botanique et Biologie Végétale N. 33, 540 p. + 22 pl. en couleurs.

Moser, M., 1978.- Die Röhrlinge und Blätterpilze (Polyporales, Boletales, Agaricales, Russulales). (Kleine Kryptogamenflora, Bd. IIb 2, Basidiomyceten, 2. T.). 4. vollst. überarb. Aufl. XVI + 532 S., 429 Abb. auf 13 Taf. u. 1 Farbtaf. Gustav Fischer Verlag. Stuttgart
POUMARAT S. & NEVILLE P., 1993.- Espèce de la zone du Quercus ilex au Maroc, montagnarde en France, Clitocybe amoenolens Malençon. Bull. Fédér. Assoc. Mycol. Médit., N.S., 4 : 16-19 + photos couleurs p. 48.

ROMAGNESI H., 1989 Curiosité mycologique : un champignon tortionnaire japonais : Clitocybe acromelalga Ichimura. Bull Soc Mycol France 1989, 105, 131-132

 


 

BON M. 1987c.- Quelques espèces intéressantes étudiées au stage FMDS de Saint-Germain-Monts-d'Or. Bull. Féd. Myc. Dauphiné-Savoie, 105 : 28-30.

N° 105 Page 28                                                                 Bull. Féd. Myc. Dauphiné-Savoie n° 105 Avril 1987

 

QUELQUES ESPÈCES INTÉRESSANTES
ÉTUDIÉES AU STAGE  F.M.D.S. DE ST-GERMAIN-Mt-D'OR
par M. BON St-Valery-s-Somme

CLITOCYBE AMOENOLENS Malç. ap. Malç. & Bertl. 1975 F1. Ch. Maroc 2 : 138

Chapeau 5-6 cm; légèrement mamelonné puis plan ou un peu déprimé autour du mame­lon, à marge peu incurvée, subcostulée. Cuticule mate à légèrement craquelée vers le centre, ocre à légèrement fauvâtre au disque ou à reflets vaguement incarnats.

Lames peu larges, plutôt arquées à ± décurrentes, très serrées, un peu fourchues, crème ochracé pâle ou à reflets orangés.

Stipe 2-4 x 0,8-1 cm, subégal à base ± brutalement atténuée sous un léger épaississe­ment, lisse, subconcolore.

Chair blanche, un peu roussâtre dans le stipe. Odeur fruitée aromatique, balsamique (Inocybe bongardi, I. corydalina ou même un peu Hebeloma sacchariolens). Saveur douce.

Spores (4,5) 5-6(6,5) x 3-4 pm, banales, elliptiques, lisses non amyloïdes ni cyanophi­les. Basides et trame banales. Épicutis légèrement trichodermique à hyphes ± dressées et enche­vêtrées x 3-5(7) ,um, parfois un peu réfringentes mais non gélifiées, à extrémités subégales ou un peu flexueuses; boucles nombreuses.

Récolte n° 86108, leg. H. Robert 26-9-1985, Maurienne, conifères (Pinus silvestris)

Cette espèce ± thermophile, cédricole ou quercilicicole (de par sa création et son ori­gine africaine) ne semble pas avoir déjà été signalée en France. Il n'y a rien de particulière­ment étonnant à ce qu'elle puisse s'y trouver, tout au moins dans des situations thermophiles comme on en trouve parfois dans les Alpes, surtout sur les versants sud. Notoris que la récolte princeps est issue du Moyen-Atlas dont le climat est plus tempéré ou montagnard. Première récolte pour la région, sinon pour la France.

BON BFMDS 105 28-30_ fig


 

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