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Ki-no-ko fungi
4 janvier 2020

Un nouveau champignon toxique en France, par Yves Charignon & Robert Garcin

Bull. Féd. Myc. Dauphiné-Savoie, Avril 1998, 149:11 - 14

par Yves Charignon  Sociétés Mycologiques de Seyssinet et de Grenoble

 & Robert Garcin  Sociétés Mycologiques de Pont-de-Claix,  de Seyssinet et de Grenoble


    Rappelons brièvement les circonstances qui ont amené la découverte de ce champignon.

    En septembre 1996, plusieurs personnes de la région de Lanslebourg en Savoie (73) ont été intoxiquées, et on suppose que les champignons incriminés ont été confondus avec Lepista inversa (= Clitocybe i.) par le ramasseur.

    Le syndrome qu'elles présentèrent ne fait pas partie des syndromes d'intoxication fongique répertoriés en Europe. En effet ces personnes souffraient de dysesthésies et surtout d'algies des extrémités. Des antalgiques majeurs ont du être utilisés, ce qui rend compte de l'intensité des douleurs. Trois d'entre elles furent hospitalisées.

    Plusieurs mois après, une de ces personnes, que nous avons eu l'occasion de rencontrer, se plaignait encore de douleurs résiduelles. Les médecins n'ont pas noté de symptômes digestifs ou psychiques. Des recherches toxicologiques ont été faites pour éliminer une intoxication de nature différente. Elles se sont montrées négatives.

   C'est alors que des infirmières se sont souvenues d'un cas similaire, il y a plusieurs années dans la même région. En septembre 1997 Guy Fourré faisait paraître un article (1) relatant ces faits et proposait quelques hypothèses. C'est grâce à l'intérêt que le docteur Anne Claustre a porté à cette intoxication que le pas suivant a été franchi. Travaillant au Centre Anti-Poisons de Grenoble, elle a suivi une des personnes intoxiquées.

    Selon ses observations, les tableaux cliniques étaient similaires à ceux observés après l'ingestion d'un champignon toxique, le Clitocybe acromelalga que l'on trouve au Japon (2). Elle n'a pas hésité à contacter Jacques Combaret, Président de la F.M.D.S., et deux mycologues, Bernard Champon et Robert Garcin acceptèrent de l'accompagner sur le terrain.

    Le 6 septembre 97, ces derniers se sont donc rendus sur les lieux avec trois médecins du Centre anti-poisons: Anne Claustre, Françoise Serve et Philippe Saviuc. Elles y ont été conduites par une des personnes qui avait été intoxiquée et qui à cette occasion leur fit le récit de sa mésaventure. Le lieu de la cueillette est très précis et donc facilement repérable. C'est de cette façon assez incroyable que le champignon a été retrouvé et en grande quantité ! Le jour même, Robert Garcin aidé par Bernard Champon, Jacques Heurtaux et Yves Charignon en a fait la description qui suit.

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(1) Fourré G., Bulletin de la Société Mycologique du Massif d'Argenson. no 16 (1997).

(2) Un étonnant concours de circonstances a fait que ce syndrome ait été justement présenté dans ce même Bulletin de la FMDS, quelques années auparavant, sur la suggestion d'Henri Romagnesi, qui souhaitait étudier l'ornementation sporale du " Clitocybe tortionnaire japonais " dans le Bleu CBBBB sous le nom, corrigé par ses soins, Clitocybe acromelalges.

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Clitocybe sp.

Description

Port de Cantharellus cibarius pour les petits et jeunes spécimens (chapeau convexe -Lames décurrentes - Couleurs jaune ocre clair à brun jaunâtre ou fauve orangé).

Port de Lepista inversa pour les grands spécimens plus âgés (marge piléique nettement enroulée - Chapeau déprimé mais non franchement infundibuliforme - Couleurs tirant sur le roux foncé ou le brun rougeâtre).

Chapeau de 4 à 6 (7) cm de diamètre pour les sujets adultes, de jaune ocre clair à brun jaunâtre puis roussissant fortement à partir du centre, parfois brun rougeâtre chez les vieux exemplaires - Convexe à plan-convexe ou bombé chez les jeunes puis ± déprimé, mais jamais franchement infundibuliforme. Cuticule subtomenteuse à franchement méchuleuse-squamuleuse au moins au disque, ornée de minuscules écailles ± dressées et à pointe roussâtre au moment de la cueillette, puis apprimées et entièrement rousses, plus foncées que le fond (aspect de Polyporus lentus sous la loupe, en plus atténué), parfois d'aspect un peu givré vers la périphérie - Un peu visqueuse par l'humidité. Marge nettement et longtemps enroulée, crénelée à très courtement cannelée-costulée (à l'extrémité de la partie incurvée seulement).

Lames moyennement serrées (environ 10 grandes lames par cm à la marge des sujets adultes), décurrentes, subconcolores au chapeau ou plus pâles, séparables quelques heures après la cueillette (caractère peu évident sur le frais), nettement terminées sur le pied par un liseré blanc (comme chez certains Lactarius deterrimus). Lamellules présentes (une entre chaque grande lame). Arête entière, concolore.

Stipe de 2 - 5 x 0,4 - 1,2 cm, atténué de haut en bas ou subcylindrique, parfois un peu renflé à la base, pruineux sur toute sa longueur sauf à la base qui est cotonneuse, assez profondément enfoncé dans le sol et agglomérant fortement les aiguilles, subconcolore au chapeau et aux lames, taché de roussâtre à la fin.

Clitocybe amoenolens (PAM)

Photo: P. A. Moreau  Clitocybe sp.

Clitocybe amoenolens 1997_09 06

 


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Chair relativement épaisse dans le chapeau, fibreuse dans le pied, un peu élastique, pâle, crème à jaunâtre sale ou isabelle. Saveur plutôt agréable au début puis un peu aprescente après mastication. Odeur forte, nettement aromatique, agréable, de savonnette parfumée, faisant penser à Tricholoma caligatum ou à Inocybe bongardii (de seringat ou de jasmin selon certains ?)

Spores elliptiques, de 4-5 x 2,5-3,5 pm (Q = 1,3-1,7 d'après les observations de J. Heurtaux sur un échantillon de 30 spores), cyanophiles, apparemment lisses en microscopie optique (x 1000), mais certaines observations nous ont fait douter de ce caractère, guttulées. L'observation de l'ornementation sporale est particulièrement difficile dans différents milieux (eau - melzer - congo ammoniacal - phloxine - bleu coton), du fait de la rareté des spores, de leur petitesse et de leur paroi épaisse.

Sporée non recueillie (essai de sporulation effectué sur des exemplaires paraissant bien frais et adultes). Toutefois les spores observées dans l'eau semblent légèrement jaunâtres. Basides bouclées. Epicutis constitué d'hyphes ± enchevêtrées et bouclées. Pigment pariétal (lisse) ou mixte selon les observations ultérieures de M. Bon et R. Courtecuisse, vacuolaire jaune dans les articles terminaux.

Récolte Le 06.09.97: 2 stations près de Lanslebourg ( 73) distantes de 100 à 200 m l'une de l'autre (alt. 1400 m), sur litière d'aiguilles d'épicéas, en colonie de plusieurs dizaines d'exemplaires, en période relativement sèche. Dans l'une des stations présence de genévriers et de mélèzes. Présence de Geastrum sessile à proximité, mais pas d'autres espèces dans les environs immédiats (quelques espèces très isolées dans la région, mais pas de poussée intéressante).

Risques de confusion: sur le terrain, confusion facile, voire inévitable pour une personne non avertie, avec une espèce du groupe inversa ou avec Clitocybe gibba (comestibles). Toutefois, la cuticule squamuleuse et la forte odeur aromatique en particulier sont des caractères bien spécifiques.

Quelques caractères non négligeables éloignent notre espèce de Clitocybe acromelalga bien que les conséquences après ingestion semblent identiques. D'après la description de Daniel Guez (1990 in Bull. FMDS 116: 14).

— Cuticule nettement squamuleuse, au moins chez les sujets adultes (glabre chez C. acromelalga).

— Lames moyennement serrées (serrées à très serrées chez C. acromelalga).

— Odeur forte, nettement aromatique (odeur faible chez C. acromelalga).

— Spores de 4-5 x 2,5-3,5 pm, elliptiques (Spores de 1,6-4 x 2-3 pm, subglobuleuses chez C. acromelalga).

Des exsiccata ont été alors adressés à Marcel Bon et à Régis Courtecuisse. A peine un mois plus tard, le 4 octobre 1997, Robert Garcin a eu la surprise de retrouver cette espèce à l'exposition mycologique de Seyssinet (38). Il l'a tout de suite reconnue à son odeur très particulière. La microscopie a confirmé qu'il s'agissait bien de la même espèce que celle trouvée à Lanslebourg (73). Bernard Champon a alors pu faire sporuler quelques exemplaires et la sporée semble tirer sur le rose.


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 Malheureusement, comme cela se passe souvent dans les expositions mycologiques, il n'a pas été possible de savoir où avaient été cueillis ces champignons. Par courrier, Marcel Bon confirme dans son ensemble la description microscopique effectuée sur le frais. Ses conclusions:

— Spores cyanophiles, lisses à sublisses dans le bleu coton (C4B), à ornementation pratiquement invisible dans le Melzer, la phloxine.

— Couleur de la spore dans l'eau apparemment jaunâtre (un peu comme celle de Lepista nebularis).

— Revêtement typiquement à hyphes ± enchevêtrées à ± diverticulées, de même type que les Lépistes du groupe inversa. — Pigment pariétal (lisse) ou mixte, vacuolaire dans les articles terminaux.

Devant la difficulté à affirmer le caractère parfaitement lisse des spores, il conseille de les passer au microscope électronique. R. Bouteville a bien voulu se charger de ce travail et ses premières observations montrent des spores à paroi lisse,... ce n'est donc pas une Lépiste. Il pense pouvoir effectuer d'autres observations plus complètes, la rareté des spores ne facilitant pas les choses. Affaire à suivre!

     Il pourrait s'agir d'une espèce nouvelle car, à notre connaissance, aucun taxon du genre Clitocybe, Lepista, Rhodocybe ou autre ne semble correspondre à l'ensemble des caractères macroscopiques et microscopiques (?) La toxicité de ce champignon et son lien avec l'intoxication de Lanslebourg reste à démontrer. Les présomptions sont fortes mais seules des analyses toxicologiques et une expérimentation animale pourraient en apporter la preuve formelle.

    Le type d'intoxication fait bien sûr penser au Clitocybe acromelalga qui n'est pour l'instant connu qu'au Japon. Mais l'espèce japonaise n'a pas d'odeur remarquable et ses spores sont lisses et nettement plus petites. D'autre part de bons contacts se sont établis entre le Centre antipoisons de Grenoble et des toxicologues du Japon; et après échange d'exsiccata, les collègues Japonais ne reconnaissent pas « leur Clitocybe acromelalga » dans le champignon de Lanslebourg.

    En conclusion nous mettons en garde les consommateurs de champignons. Il est prudent de ne plus consommer Lepista inversa (=Clitocybe i.), Lepista gilva (= Clitocybe g., Clitocybe splendens auct.) et Clitocybe gibba (= C. infundibuliformis) bien que ces espèces ne soient pas toxiques. Mais le risque de confusion avec l'espèce que nous avons décrite est très important. Nous rappelons que ce champignon peut pousser en abondance, même par temps très sec, qu'il est assez charnu et que son odeur est très agréable. Enfin son aire géographique ne parait nullement limitée comme le prouve sa découverte en Isère (38) à presque une centaine de kilomètres à vol d'oiseau de Lanslebourg (73).

Bibliographie

BON M., 1997. Les Clitocybes, Omphales et ressemblants (Monographie).

COURTECUISSE R. & DUHEM B., 1994. Guide des champignons de France et d'Europe occidentale.

GUEZ, D., 1990. Aperçu sur la flore mycologique du Japon. Bull. Féd. Myc. Dauphiné-Savoie 116:12-16.

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Spore de l'espèce représentée d'après photo au microscope à balayage.


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