Apercu sur la flore mycologique du Japon
Bulletin trimestriel de la Fédération Mycologique Dauphiné-Savoie 116: 12-16
Par Daniel GUEZ *
Au large des côtes de l'Asie, l'archipel nippon égrène ses quelque vingt mille îles sur 2200 km de long, entre le Kamtchatka et les Philippines. L'image d'une forte puissance économique dans un pays densément peuplé escamote bien souvent la réalité écrasante de son milieu naturel : un relief tourmenté sur 80% du territoire et une forêt couvrant les deux tiers du pays, sans nuire pour autant à l'occupation humaine puisqu'elle correspond aux zones montagneuses. Grands conifères, frênes et bouleaux au nord, --- chênes, érables et conifères variés sur tous les sommets de la zone tempérée, --- chênes verts, camélias et magnolias de la forêt pénétropicale de l'ouest ... tels sont les trois grands types de paysages, auxquels le bambou (plusieurs dizaines d'espèces) confère une certaine unicité.
Quatre saisons très marquées et toute une gamme d'altitudes et d'expositions font du Japon un pays de contrastes. Une forte pluviométrie alliée à la canicule estivale favorise une végétation dense et variée et de nombreux animaux, protégés par leur isolement. L'an dernier encore, un ramasseur de "matsutaké" était attaqué par un ours, près de Kyoto !
La mycoflore ne pouvait donc être en reste, avec près de mille agaricales déjà recensées (dont un tiers environ est commun à l'Europe) et plus de cent bolets. En arpentant les pinèdes (Pinus densiflora et P. thumbergii), vous récolterez sans doute le candide
Tricholoma japonicum Kawamura et la gracieuse Russula mariae Peck, à odeur de scarabée, voisinant avec Lactarius hatsudake Tanaka, que vous distinguerez de notre sanguifluus à son latex sombre et à son ornementation sporale en filet.
Chemin faisant, vous admirerez certainement l'omniprésent "Polypore petite bouchée", Cryptoporus volvatus (Peck) Shear, qui végète toute l'année en saprophyte sur les troncs morts et cortiqués des pins à deux aiguilles.
Nous le décrirons ainsi :
Basidiomycota / Homobasidiomycetes / Polyporales / Polyporaceae Synonymes : Polyporus volvatus Peck 1875 Fomes v. (Peck) Cooke 1885 Scindalma volvatum (Peck) Kuntze 1898 Ungulina volvata (Peck) Pat., 1900
CRYPTOPORUS VOLVATUS (Peck) Shear
Fructification non stipitée d'abord noduleuse-globuleuse, puis évoquant une grosse châtaigne de 2-5,5 cm de long, 1-3 cm de projection, 1-2,5 cm d'épaisseur. Surface piléique glabre et lisse, brillante-vernissée, jaune-brun à châtain. Face inférieure moins arrondie, voire plus ou moins plane, constituée par une enveloppe épaisse à consistance de cuir, crème, enfermant complètement l'hyménium. Hermétiquement close chez le jeune, la cavité se ménage bientôt un orifice de 3-10 mm de diamètre, à proximité du point d'attache (crypte).
Tubes 2-6 mm de long, blancs puis isabelle à gris-brun sale. Pores très petits, 3-4 au mm.
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Spores 10-13 x 4-6 gm, ellipsoïdes, lisses, hyalines.
La chair blanchâtre, à consistance de cuir ou de liège, dégage une odeur composite de résine de pin et de poisson séché, qui attire des cloportes et de petits coléoptères dans la crypte. L'ouverture de l'orifice dans la volve coïncidant avec la maturité des spores, ces insectes qui dévorent l'hyménium, facilitent la propagation de nouveaux mycéliums dans les galeries qu'ils creusent sous l'écorce des pins.
Mais c'est sous les pins à cinq aiguilles (Pinus koraiensis et P. pentaphylla) que des bolets comme Suillus subluteus (Peck) Snell, ou Suillus tomentosus (Kauffm.) Sing., Snell et Dick vous donneront du fil à retordre. Les mélèzes, quant à eux (Larix leptolepis), voient leurs troncs recouverts par Suillus spectabilis (Peck) O. Kuntze et font bon ménage avec Suillus laricinus (Berk. in Hook.) O. Kuntze.
Les meilleurs comestibles préfèrent toutefois les chênes (Quercus mongolica, Q. serrata), les hêtres (Fagus crenatus) et les châtaigniers (Castanea crenata). On y trouvera le délectable Lyophyllum shimeji (Kawam.) Hongo, proche d'aggregatum, et l'oronge japonaise Amanita hemibapha (Bk-Br.) Sacc. C'est là également que fructifient allègrement Pholiota nameko (T. Ito) S. Ito et Hypsizygus marmoreus (Peck) Bigelow, aujourd'hui cultivés in vitro pour la consommation de masse. La nuit venue, le sous-bois par endroits des lampions phosphorescents du Lampteromyces japonicus (Kawam.) Sing. qui colonise les troncs. Parmi ces feuillus, c'est le "bolet chrysanthème" qui retiendra notre attention pour ses belles couleurs. Il s'agit de :
Basidiomycota / Homobasidiomycetes / Boletales / Boletaceae Synonymes : Strobilomyces annamiticus Pat. 1909 ; Boletellus floriformis Imaz. 1952 ; Boletellus ananas (Curt.) Murill ss. Hongo in Imazeki et al. 1970 ; Boletellus annamiticus (Pat.) E.-J. Gilbert 1931 ; ? Strobilomyces pallescens ss.
BOLETELLUS ANANAS (Curt.) Murill ( = emodensis (Berk.) Sing.)
Chapeau 4-10 cm, hémisphérique puis convexe au centre. Marge appendiculée par d'importants vestiges du voile qui recouvre l'hyménophore chez le jeune. Cuticule séparable, épaisse, vite rompue par la sécheresse en plaques squameuses, de couleur lie de vin, rappelant un strobilurus (ananas ?)
Tubes adnés, 6-12 mm, jaune citrin, bleuissant instantanément. Pores 0,5-1,2 mm de diamètre, arrondis puis anguleux, citrin vif, brunissants. Anneau subapical, épais, tenace, retroussé aux abords du stipe.
Pied : 7-12 x 1-2,5 cm. quasi bulbeux à la base, souvent courbe, plein, ferme, strié longitudinalement, jaune olivacé au milieu, rougeâtre aux extrémités.
Chair : épaisse, ferme, fibreuse dans le stipe, jaunâtre pâle. Saveur et odeur peu prononcées.
Sous les feuillus persistants (notamment Castanopsidis cuspidata - le "shii" du fameux shiitaké), on récoltera de nombreuses Russules dont R. castanopsidis Hongo et surtout la redoutable R. subnigricans Hongo, qui rougit à peine des nombreux décès qu'on lui attribue, sans jamais noircir pour autant.
Russula alboareolata Hongo 1979 Russule blanche vergetée (ヒビワレシロハツ) ...
Mais le sommet de la cruauté est atteint avec le Clitocybe acromelalga Ichimura (1918, Bot. Gaz. Vol 65, p. 109) qui pousse en larges cercles sous Phyllostachys bambusoides, mais aussi dans les bois mêlés de Quercus-Fagus du Japon et de Corée.
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CLITOCYBE ACROMELALGA Ichimura
Chapeau 3-10 cm en large entonnoir, mais à dépression centrale peu profonde. Cuticule jaune orangé à rouge brique, glabre, lisse, visqueuse par l'humidité. Marge incurvée puis étalée, sinueuse, souvent fendillée, plus pâle que le disque.
Lames serrées à très serrées, minces, longuement décurrentes, blanchâtres à isabelle.
Pied 3-7 x 0,5-1,5 cm, cylindrique, égal ou un peu renflé à la base, sinueux, concolore, lisse. Sa base, pruineuse, est bien enfoncée dans la litière.
Chair mince dans le chapeau, fibreuse dans le pied, jaunâtre sale. Odeur faible. Insipide.
Spores 1,6-4 x 2-3 gm, hyalines, subglobuleuses, lisses, guttulées.
Cinq à quinze jours après l'ingestion, se produisent un gonflement et une rougeur des doigts et des orteils. En même temps, des douleurs intolérables font hurler le malheureux mycophage qui va endurer ainsi trois à cinq semaines de véritable supplice au fer rouge. On obtient un certain soulagement en plongeant les doigts dans l'eau froide mais ces bains prolongés détruisent les tissus. De nos jours on injecte de l'ATP et de l'acide nicotinique, mais il ne s'agit que d'un traitement symptomatique. Localisée aux articulations des extrémités (acromel-alges), la toxicité atteint le système nerveux par le biais des neuromédiateurs. On a isolé dans le champignon un nucléoside inconnu (clitidine) et trois amino-acides dont deux sont très toxiques chez la souris (acide acromélique A et B). Ces deux substances sont chimiquement voisines des neurotransmetteurs acide kaïnique et acide domoïque. Dans tous les cas, les parties lésées conserveront des cicatrices. Le sujet, lui, n'oubliera jamais et ne consommera généralement plus de champignons.
Niigata. Granite. Étage collinéen (100 m) bambouseraie à Phyllostachis bambusoides Sieb. & Zucc. [madake]., Acer palmatum Thunb. ex Murray [takao momiji]., Zelkova serrata (Thumb. ex Murray) Makino [keyaki].Substrat: Terricole.Humus moyen (moder). pH 5-6 Station historique, la famille du propriétaire des lieux ayant été gravement intoxiquée. [Interview Anamnèse par S. Miyauchi, T.
Mais les Japonais sont de grands mycophages. Ils cultivent de nombreuses espèces à domicile et excellent dans l'art de la mycogastronomie. Je garde ainsi le meilleur souvenir d'un restaurant de Sendaï spécialisé dans la dégustation de champignons sauvages. Une trentaine d'espèces différentes (cueillies le matin même) figuraient à la carte, artistiquement présentées avec diverses viandes, poissons ou crustacés. Avis aux amateurs !
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