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Ki-no-ko fungi
1 janvier 2016

Voyage au pays de Wa - la sente étroite du Bout-du-monde.

À Henri Romagnesi, poète et mycologue, désormais réunis.

Henri Romagnesi assoupi (Congrès de Montluçon, 1986)     Je pense parfois que tout mycologue est un poète qui sommeille,
un mycophage de rêves prémonitoires et que la manie raisonnante
qui le pousse
à décrire et identifier ces médiateurs du biotope,
n'est qu'une forme de résistance passagère à la recherche de la spiritualité originelle,
un sclérote des temps modernes.

    Depuis la nuit des temps, nature et poésie vont de pair dans cet interminable voyage, sur la sente étroite du Bout-du monde (1). 

Mycomanes sensu lato, accepteriez-vous de prendre le sentier par " l'autre bout " du monde ?



 Henri Romagnesi assoupi (Congrès de Montluçon, 1986)

 

  Basho_by_Buson  Un des plus grands poètes classiques du Japon, Matsuo Munéfusa, dit Bashô, naît en 1644 dans la province d'Iga. En 1662, il entre comme page au service de l'héritier des Tôdô, Yoshitada qui le prend en amitié et, très vite, leur passion commune pour la poésie dite "courte" ou haïku, les amènent à publier ensemble un premier recueil.

    À la mort de son maître en 1666, Munéfusa commence une vie de pérégrinations poétiques depuis son ermitage à Edo  (aujourd'hui Tôkyô). Tout en étudiant la poésie chinoise, il pratique la méditation zen, et porte souvent la robe des moines sans jamais pour autant entrer officiellement en religion. Écritoire et pinceau en main, il sillonnera le pays jusqu'à sa mort.

    Bien que la plus grande part de son œuvre soit en prose, il a porté à la perfection ce genre de poèmes courts qui condensent, en quelques mots, une observation de la nature aussi fine que pertinente et le sentiment de l'homme confronté à l'impermanence du monde vivant.

    Peut-on rêver de meilleure diagnose que celle qui, entre la différence et la ressemblance, entre la nomenclature (poétique) et l'usage courant, sécrète la perle des perles : l'humilité ?

    Pour ceux que les sciences modernes n'ont pas encore détournés des charmes de l'observation naïve, voici quelques extraits de ses "Journaux de voyage" dans l'excellente traduction de René SIEFFERT (1).

 Ah pure merveilleFutaba

feuille verte feuille naissante

au soleil qui brille

 

 

 

graine de kaki + PenicilliopsisÀ peine germée

en deux feuilles s'épanouit

graine de kaki

 

Réduit au latin savant, cela pourrait donner :
Diaspyros kaki dicotyledon est,

Penicilliopsis clavariiformis - Ki-no-ko fungi

Facile à cultiver à domicile sur noyaux de kaki Penicilliopsis clavariiformis Solms (1887) Ascomycota / Eurotiomycetes / Eurotiales / Trichocomaceae Penicilliopsis clavariiformis Solms (1887) , Annales du Jardin botanique de Buitenzorg, 6, p. 53 (' clavariaeformis ') (Basionyme) Stroma d'environ 20-30 mm de long, chatoyant,sulfureux. Les hyphes du stroma ressemblent à des brindilles pointues 6-8µm.


mais plus précieux encore sont ceux qui expriment la pérennité de l'espèce et l'impermanence des individus, le végétal et l'homme y étant toujours étroitement associés :
 

 

 中尊寺_0003 (2)

 

Trentième nuit sans lune

Cryptomères de mille ans

 qu'empoigne l'ouragan

 

Moines et volubilis,

combien a-t-il vu mourir

le pin de la Loi ?

 

Venu se recueillir au monastère du Grand Bouddha du Mont Gohô, Bashô, ne trouvant que des ruines, ne peut retenir ses larmes.
Mais la nature y est omniprésente :

 

 inikko jizo3

"la statue du Bouddha est ensevelie sous une verte couche de mousse "

 



 


七面山七宝寺(七寳寺)" le socle de pierre en forme de fleur de lotus et son assise gravée de lions,  émergent de l'armoise et du grateron, si bien qu'il me semble avoir sous les yeux les restes desséchés des arbres jumeaux ".

 

七面山七宝寺(七寳寺)

 

 

 


La poésie comme la science naissant de la frustration, il se fait, l'espace d'un instant, botaniste, chimiste et entomologue :

 

IMG_0005

 

 Quel nom donnez-vous

Dites-moi à ces roseaux

Au frais feuillage ?

 

 

 

 

orchid-1203532_1280

 

Senteur d'orchidée

aux ailes du papillon

s'est communiquée

 

 

 

 S'il est bien dommage qu'il n'ait pas également porté son regard sur les champignons, il nous donne cependant envie de le faire.
En Juin 1664, malgré sa santé chancelante, il repart pour un dernier voyage et, le huit de la dixième lune (novembre), il compose son ultime haïku

 

Malade en chemin

en rêve encore je parcours

la lande desséchée.

 

img_0_m

 

Sur sa tombe ses disciples planteront un bananier (d'où fut tiré son pseudonyme, Bashô).

 


 

1. BASHÔ Journaux de Voyage, Traduction intégrale de René SIEFFERT, Publications Orientalistes de France , 1978

Imaginez un instant que vous vous trouviez à l'autre bout du monde, dans l'une des vingt-mille îles de l'Empire du Soleil Levant. Pas celui dont nous abreuvent les médias, clichés tenaces d'une mégalopole soi-disant surpeuplée où l'air serait irrespirable et où les "fourmis jaunes travaillent sans relâche pour gagner un petit bol de riz"(sic). Le "vrai", Japon, celui qui apparaît brusquement au voyageur quand, après le survol monotone et glacé de l'interminable plaine sibérienne, il aperçoit ces montagnes verdoyantes surgies de l'eau, aux flancs desquelles les "petits hommes de Wa (1)" s'activent à produire ingénieusement les gadgets les plus sophistiqués que l'occident ait jamais rêvé, tout en continuant à pratiquer la cérémonie du thé et en visitant l'autel des " kamis ". Ce mélange de pragmatisme, de haute technologie et de discrétion.

 Enfin, nous risquons notre propre haïku Yuki no shita... énokidaké

Flammulina velutipes (E Charles)

Même sous la neige du mont Fuji

Collybie à pied de velours

Exhale le géranium [énoki-také]

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Note 1

 

Journaux de voyage

 

Littérature japonaise

Présentés et traduits du japonais par René Sieffert

128 p. 14,50 €

ISBN : 978-2-86432-897-1

Parution : octobre 2016

À la huitième lune d’automne, lorsque je quittai mon logis délabré près de la rivière, il soufflait un vent frisquet…
Ainsi commencent les notes de voyage de Bashô, composées en prose rythmée, parsemée de-ci de-là de haïkus dans lesquels se cristallise une impression fugitive, longuement préparée par la description d’un paysage, par une méditation devant un vestige du passé, devant un site illustre…
Ces Haïkus perdraient une grande partie de leur résonance s’ils étaient détachés du texte dans lequel ils sont normalement sertis et qui les éclaire.
C’est pourquoi l’éminent connaisseur de la littérature japonaise que fut René Sieffert a construit ce recueil – qui comprend l’intégralité des sept journaux de voyages de Bashô – en respectant leur forme initiale.

 

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