IV - Légendes, Magie et Croyances liées aux polypores - Daniel Thoen
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THOEN, Daniel - Bull. trim. Soc. Mycol. Fr. 98 (3):289-318
Usages et légendes liés aux Polypores. Note d'ethnomycologie n。 1 -IV
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L'apparition des champignons est longtemps restée mystérieuse. Il n'est donc pas étonnant que leur croissance ait donné lieu à des légendes quant à leur apparition, jugée alors surnaturelle.
Une légende chinoise est associée à la croissance de Leucoporus socer, un polypore des régions tropicales d'Asie et d'Afrique : « là où la tigresse laisse tomber une goutte de lait, et là seulement, le champignon pousse, ce qui explique, nous dit-on, sa rareté » (Heim, 1959).
Les Indiens d'Amérique du Nord pensaient que le Tuckahoe, sclérote du Polyporus tuberaster, était du Pemmican fossilisé (dérivé d'un mot Cree, « Pimmican », qui désigne de la viande séchée de bison ou de chevreuil, réduite en fins morceaux et mélangée à de la graisse fondue, emballée dans des sacs en peau de bison). Utilisé lors des grands déplacements, des sacs de pemmican étaient parfois cachés pour assurer l'approvisionnement lors du voyage de retour. Brodie (1978, p. 96) a avancé une explication plausible pour l'appelation de « Pemmican fossilisé » pour le sclérote de Polyporus tuberaster : elle serait basée sur une analogie de texture et de couleur du sclérote qui a un aspect panaché, marbré, ressemblant à de la viande séchée enrobée de graisse du Pemmican. De même, le cortex dur et crevassé du sclérote présente une certaine similitude d'aspect et de couleur avec un vieux sac de cuir ayant servi à emballer le Pemmican.
PLAISANCE (1977, p. 56) mentionne une légende d'Extrême-Orient se rapportant au fou-ling qui est le nom chinois du Poria cocos : « En Extrême-Orient, le pin est symbole de vie éternelle. La résine de pin descendue en terre produit au bout de mille ans le fou-ling (Poria cocos), champignon procurant l'immortalité ».
L'auteur ne mentionne malheureusement pas la source de son information, car si le fou-ling peut bien être assimilé au Poria cocos, le champignon tradionnel de l'immortalité, le Ling-Chih, (Man-nen-také 万年茸 en japonais, ou « champignon de dix-mille ans ») est classiquement identifié comme étant le Polypore laqué, Ganoderma lucidum. Nous avons signalé par ailleurs que le Poria cocos figurait toujours dans la pharmacopée chinoise comme diurétique. Le doute planant sur le champignon d'immortalité dont parle Plaisance n'entache en rien la valeur de la légende : comme Leucoporus sacer, l'apparition du champignon est attribuée à un agent étranger au monde fongique.
En Amérique du Nord, Lévi-Strauss (1970, p. 14) rapporte que les Menomini, Indiens de langue algonkin vivant dans la région des Grands Lacs, croyaient qu'un Polypore, hôte de certains conifères, croissaient d'un seul coup un fois par an vers la fin du mois de février, et qu'il proférait à cette occasion un appel sonore comme un humain. « Aussi le respectait-on à l'égal d'un puissant esprit ».
Une curieuse croyance a cours chez les Indiens Hopi. Ils rejettent tous les polypores (bracket fungi) parce qu'ils les associent aux tumeurs malignes du cancer et craignent la contamination (WEINER, 1972).
Le Leucoporus sacer, c'est-à-dire le polypore sacré, été nommé ainsi par AFZELIUS parce qu'il est considéré dans certaines régions de l'ouest de l'Afrique comme un dieu : « Les nègres de la Guinée rendent à ce champignon, remarquable par sa beauté, un véritable culte ; ils le vénèrent comme ils vénèrent divers autres objets naturels, qu'ils regardent comme des divinités tutélaires. » (Cordier, 1870, p. 95).
Nom actuel : Lignosus sacer (Fr.) Ryv.
Norw. J. Bot. 19:232, 1972. - Polyporus sacer Fr. Epicr. syst. mycol. p. 436,1838.
Special literature: Westhuizen, G.C.A. van der, 1971: Bothalia 10:300-07.
FRUIT BODY annual, solitary or in small groups, centrally stipitate with a more or less circular pileus, up to 10 cm in diameter, up to 4 mm thick in the centre, in larger specimens often somewhat lobed or incised, often fused specimens are seen where two or more stipes arise from the same sclerotium, tough to coriaceous.
PILEUS hazel to snuff brown or even dark sepia-brown in old specimens, first very finely tomentose in narrow concentric zones, sometimes distinctly sulcate, but soon more or less glabrous in narrow bands, dry specimens usually wrinkled radially, in large specimens the margin may become strongly radially folded with narrow furrows, margin thin and sharp, pileus with a distinct dark cuticle in section, contrasting the white contex.
STIPE more or less centrally attached, single or a few from the same sclerotium, rarely forked in the upper part, light brown and finely velvety tomentose, becoming smoother and finally glabrous with age, below the very short, brown tomentum, there is a distinct thin and light brown cuticle, below which the context is pure white, stipe first solid, but soon hollow, somewhat tough when fresh, easy to break when dry.
SCLEROTIUM irregular, round to somewhat elongated, longest dimension, up to 5 cm, pure white, but usually dirty and soiled, very finely tomentose, smooth to slightly folded when fresh, wrinkled, partly collapsed and bony hard in dry and old specimens, rhizomorhs or cords of mycelium richly to scarcely present, 1-3 mm in diameter, up to 7 cm long, usually growing radially out from where the stipe is attached, which is 1-2 cm below ground, the rhizomorphs are white to light ochraceous, finely velvety, hollow, brittle and easily broken if the fruitbody is carelessly dug out of the ground. In Africa the sclerotium is frequently used for medical purposes.
PORE SURFACE white to light cream with a narrow brown sterile margin, pore variable, angular, slightly radially elongated or irregular and split, 1-3 per mm, in a specimen sent from Uganda, some pores measured up to 2 mm in diameter, tubes up to 1 mm deep, 1-3 with few to numerous hyphal pegs or cylindrical protuberances, up to 200 µm high, context pure white, 1-2 mm thick.
HYPHAL SYSTEM trimitic, generative hyphae with clamps, in the hymenium thin-walled and hyaline, 2-3 µm in diameter, the tomentum both on the pileus and the stipe consists of such hyphae,up to 10 µm in diameter and with slightly thickened to semisolid light yellowish, moderately branched and with numerous clamps, in the cuticle strongly agglutinated, 30-50 µm thick, skeletal hyphae dominating the upper part of the context, straight to flexuous, hyaline and thick-walled to solid, 1.5-6 µm in diameter, in the lower part of context and in the trama mixed with strongly branched, tortuous binding hyphae, thick-walled to solid, 26 µm the diameter, the core of the stipe consists mainly of unbranched or slightly branched skeletal hyphae mixed with some hyaline generative hyphae, the sclerotium consists mainly of skeletal hyphae, the hyphal pegs are composed of more or less parallel skeletal hyphae mixed with some generative hyphae.
CYSTIDIA none, but cystidiols or sterile basidia-like organs scattered to common, hyaline, thinwalled and of irregular shapes, but mostly pointed and mixed with the basidia, 12-18 x 3-6 µm.
BASIDIA clavate, hyaline, thin-walled, up to 20 µm high and 3-8 µm wide with 4 sterigmata, lining the pore walls in a dense palisade, subhymenium very thin and many of the basidia are pleurobasidial.
SPORES broadly ellipsoid, hyaline, thinwalled, smooth and non-amyloid, 5-7 x '34.5 µm (Westhuizen op.cit, not been seen by us).
HABITAT. On the ground in rain forest.
DISTRIBUTION. Tropical Africa from Sierra Leone to Kenya and south to South Africa. Not common.
REMARKS. The species is usually easy to identify due to its habitat on the ground, growing from a distinct sclerotium. It is separated by the brown pileus, from the other African species of the genus.
Le cas très curieux d'une église dédiée au culte d'un polypore dans l'Etat de Puebla au Mexique a été révélé en 1975 par Guzman, Wasson et Herrera. L'église s'appelle « Nuestro Senor del Honguito » en espagnol, ou encore « El Senor de la Salud » . Honguito veut dire « petit champignon » en espagnol, et n'est pas dépourvu d'une connotation de sympathie. L'église est située dans la région de Chignhuapan et la partie principale du culte est consacrée à un champignon. L'église elle-même a été construite spécialement pour ce culte. Le champignon est un polypore lignicole, dépourvu de tout pouvoir hallucinogène ; il a été récolté au siècle dernier dans la forêt proche de Chignhuapan et a été déterminé par les auteurs comme étant Ganoderma lobatum (Schw.) Atk..
La partie inférieure du carpophore est gravée et représente le Christ, le soleil et la lune et le nombre 80. D'après les auteurs, la signification exacte de l'adoration d'un champignon dans l'église « Nuestro Senor del Honguito » nécessite une étude ethnomycologique plus approfondie de la région, où par ailleurs les champignons comestibles sont récoltés et vendus sur les marchés. Signalons enfin, pour les collectionneurs mycophiles, qu'une carte postale représentant le Ganoderma lobatum avec ses gravures est en vente à la porte de l'église !
Les Indiens Kwakiutl, tout comme leurs voisins les Salish de la Côte, croyaient que les échos dans les bois étaient causés par un type de champignon (polypore ?) (BOAS, 1921; Turner et Bell, 1971, in Turner et Bell, 1973).
Chez les Indiens Salish, les jeunes hommes se frottaient le corps avec un champignon d'arbre appelé bois de hiboux (Hirschioporus abietinus) pour acquérir de la force (Lévi-Strauss, 1970, p. 14).
Plusieurs croyances et pratiques magico-religieuses sont liées aux polypores chez les Aïnou de Hokkaïdô (Japon). Elles ont été repertoriées dans un excellent article de Yokohama (1975) dont nous résumons ici l'essentiel. Lorsqu'il sévit une épidémie, ou que des démons apparaissent, les Aïnou mettent le feu à des carpophores de Fomes fomentarius qu'ils laissent brûler toute la nuit autour de l'habitation. Cette pratique est liée à la croyance que toutes les créatures du monde ont un esprit éternel appelé Ramachi. Lorsqu'il y a une épidémie ou toute autre cause d'infortune, les Aïnou font appel à certaines plantes dont l'esprit peut exorciser la maladie ou les démons. [Lévi-Strauss (1970, p. 15) signale une pratique analogue chez les Apaches Jicarilla du sud-ouest des États-Unis, qui faisaient brûler des champignons pour que leur fumée éloigne les mauvais esprits.]
Des croyances spéciales sont attribuées au champignon appelé « Yuk-karush », le Grifola frondosa (Maïtaké en japonais, qui signifie « Champignon danseur»). A Shiraura, Sahgalien,« Yuk » signifie primitivement « gibier », ou, en combinaison avec d'autres mots, « ours ». Actuellement « Yuk signifie « cerf » . Lorsque les Aïnou de cette région découvrent ce polypore, ils tracent avec un bâton un cercle autour du carpophore, en espérant que le champignon en poussant atteindra la dimension du cercle. Avant de le récolter, ils feignent de le transpercer comme s'il s'agissait d'un ours, Chiri (1953, in Yokohama, op. cit.) pense que cette action symbolique procure aux Aïnou le même sentiment que s'ils avaient réellement tué un ours, qu'ils considèrent comme un animal sacré.
Lorsque les Aïnou de Touro, dans l'est de Hokkaïdô, trouvent le Yuk-karush, ils appellent joyeusement leurs enfants en criant « Enfants, venez vite et réjouissez-vous ! ». Ensuite seulement ils le cueillent. Jadis, les hommes et les femmes revêtus de leur « Attush » (vêtements Aïnou confectionnés à partir de fibres de l'Orme du Japon), dansaient autour du champignons et en le cueillant ils ôtaient leurs Attush en priant « K'okkari kun ! », ce qui signifie « échangeons ! ».
A Bihoro, dans le nord-ouest de Hokkaïdô, l'homme qui découvre le Grifola frondosa saute en l'air joyeusement en criant « wo ! wo ! ». La femme danse autour et chante « onon ! onon ! » ( joie! joie!), de la même manière que lorsqu'un ours a été attrapé.
Chez les Indiens Bella Coola, un polypore était le symbole d'une danse spéciale du cérémonial kusiut (Turner, 1973, p. 195). Les Bella Coola choisissaient un gros polypore appelé Kanani sur lequel un artisan dessinait un visage sur la surface blanche du côté poré et y attachait une petite poupée fabriquée en écorce de Cèdre. Cet ensemble était ensuite fixé à une corde d'écorce tenue par le danseur. Le thème le plus courant des chants accompagnant la danse était le monde supérieur ou le ciel.
Parmi les Indiens Salish de la Côte, les Klallam et les Quinault attribuaient à des champignons croissant sur les roseaux ou sur des conifères (polypores ?) la valeur de talisman pour gagner au jeu (Lévi-Strauss, 1970, p. 14). « Dans la même région on signale la pratique du tir à la cible sur des champignons d'arbres également attestée plus tard au nord, chez les Athapaskan (Tanana) qui lui donnaient en plus un rôle rituel : celui de « purifier » un polypore du genre Fomes avant de le réduire en cendres pour le chiquer... » (ibid.).
De nombreuses légendes ou croyances liées aux polypores transparaissent dans la connaissance et l'étude des noms vernaculaires des champignons.
C'est ainsi que dans le département du Vaucluse (France), Coriolus versicolor est appelé Pan de lou (pain de loup) ou encore Pan doo diablé (pain du diable) ; dans diverses régions de France, oreille de noyer désigne le Polyporus squamosus (Roland, 1914). En Grande-Bretagne, Dryad's saddle est le nom commun du Polyporus squamosus : « selle de dryade » (Ramsbottom, 1969, p. 259).
En Amérique du Nord, les Indiens Blackfoot (Pieds Noirs) appelent une espèce de polypore Apo-pik-a-tiss, ce qui signifie littéralement « qui rend les cheveux gris » en raison de la croyance qu'une dose trop forte de ce polypore, utilisé comme purgatif, faisait blanchir les cheveux (Johnston, 1870, p. 303).
Chez les Aïnou de Hokkaïdô, Laetiporus sulphureus var. miniatus porte le nom de Kamui-karush, champignon-dieux (Yokohama, op. cit.)
Extrait de : D . Thoen , « Usages et légendes liés aux Polypores . Notes d ' ethnomycologie n° 1 » , Bulletin de la Société mycologique de France , 98 ( 3 ) , 1982 , pp .
Références :
ADRIAENS, E. L. (1953) - Note sur la composition chimique de quelques aliments mineurs indigènes du Kwango. An. Soc. Belg. Méd. Trop., 33, 531-544.
AINSWORTH, C. (1976) - Introduction to the history of Mycology. Cambridge University Press.
ALIBERT, H. (1944) - Note sur les champignons pussant dans le bas Dahomey et sur deux Agaricinées estimées des indigènes de cette même région. Notes Africaines (Dakar), 22, 11-12.
HEIM 1959 — Le Champignon de la Tigresse. Rev. de Mycol., 24, 3, 1959, pp. 275-276, 1 fig.
Annex Topic
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Dix ans plus tard, R.G. Wasson expose une de ses thèses les plus fondamentales et qui ne laisse aujourd’hui plus aucun doute (6) ; elle est particulièrement convaincante car très solidement argumentée : le fameux Soma de l’Inde védique, cette plante « enivrante » et breuvage d’immortalité célébré dans les hymnes du Rig Véda était un champignon : l’Amanite tue-mouches (Amanita muscaria) (7). Cet agaric, connu de tous, s’avère psychotrope et hallucinogène. Au départ de cette découverte, Wasson produit une série de travaux plus pertinents les uns que les autres.
Au fait, que trouvent les « voyageurs » de Jules Verne au « Centre de la terre » ? |