Le cul entre deux chez
Une question qui me revient chaque été, à la période des vacances : : Où est-ce chez moi ?
Chez moi, c’était le pays des cigales, des petits hommes joviaux et de l’assent qui se promène, des pinèdes et des fruits de mer... Puis, j’ai cru devoir couper tout court avec Toulon.
Comme Marius, l’envie m’a pris de prendre le vieux port en long, et non plus en travers, de prendre le large pour aller loin, quitte à aller profond et perdre corps et biens. Direction : les îles sous le vent, pays de Wa (和), que les "vents divins" (kami-kazé) étaient censés protéger.
無事かな? Non seulement je n’ai pas fait naufrage, mais j’ai retrouvé une Provence dix fois plus verte et cent fois plus humide, des pinèdes sempervirentes sans incendies, gorgées de cigales, des poissons, oursins et fruits de mers à profusion, avec en prime ce goût de "lotentique" : la moule crue mangée au couteau dans les calanques. Ce sel végétal ou shouyu, ces petits Ji-Zaké 地酒 que 水心 (AOC) a la prétention de mettre en bouteille. Ah Hiroshima, quand tu nous tiens.... Dans tout cela, je suis chez moi.
Chez eux, c’est le silence entre deux cris. Là où nous bavardions en parpelégeant, comme Ugolin ou Landolfi, ils clignent seulement des paupières ou émettent un râle approbateur ou dubitatif. Les filles sont aussi fières et hermétiques, aussi belles que les Arlésiennes.
Bien sûr, il y a des jours où les hommes de wa m’escagassent. Leur schizophrénie du réel où l’on se parle en se tournant le dos, leurs drames télévisés où le sang giscle sur les fusumas, les gros plans sur les sécrétions, l’organe et les viscères les fascinent... moi pas.
Ce brave salari-man qui s’endort dans le train et laisse tomber tous ses feuillets, et qui ne remerciera même pas d’un regard ceux qui les ont ramassés pour lui. Qu’importe, ils n’attendent aucun merci. Les plaies ici se referment aussitôt ouvertes, la discussion est suspecte ou inutile, jamais érotisée.
Alors, c’est le moment de prendre des vacances, d’aller revoir les roses en leur jardin, et de comprendre au bout du pèlerinage, que mon pays, celui que j’ai choisi, est unique, unique au monde. Alors pourquoi le faire quand même ? L’instinct, sans doute, mère de l’hygiène.
Entre deux chaises, entre deux zabutons, et sous les pavés... le tatami.
Quel que soit le sens de votre transhumance, je vous souhaite de bonnes vacances à tous !
Hiroshima juillet 1989