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Ki-no-ko fungi
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29 juin 2015

Champignons Pré-Colombiens

LES CHAMPIGNONS HALLUCINOGÈNES DU MEXIQUE

ÉTUDES ETHNOLOGIQUES, TAXINOMIQUES, BIOLOGIQUES, PHYSIOLOGIQUES ET CHIMIQUES

par _ . Roger HEIM et R . Gordon WASSON

Avec la collaboration de Albert HOFMANN, Roger CAILLEUX,

A. CERLETTI, Arthur BRACK, Hans KOBEL, Jean DELAY,

Pierre PICHOT, Th. LEMPERIÈRE, P. J. NICOLAS-CHARLES.

Psilocybe Wassonii Heim siwatsitsintli des N ahuas; mujercitas en espagnol

Dans les prairies humides, près de San Pedro Tlanixco (plateau de Toluca, nord de Mexico), octobre J 957,

leg. G. Stresser-Péan et R. Weitlaner. Gr. nat. Renée Gyssels pinx.

 

Psilocybe mexicana HEIM (souche no 14) Carpophores obtenus en culture Renée GYSSELS pinx.

 

museum national d'histoire naturelle - les champignons sacres avec Roger Heim

 

SOMMAIRE

Préface, par Roger HEIM.

CHAPITRE l Les premières sources, par R. Gordon WASSON.

CHAPITRE II Le Champignon sacré au Mexique contemporain, par R. Gordon WASSON. 1. Huautla de Jiménez, dans la Sierra Mazateca; 2. Les Agapes de champi­gnons à Huautla de Jiménez. 3. La vallée de Mexico. 4. Tenango del Valle. 5. Dans la Mixeria. 6. Parmi les Zapotèques de la Sierra Costera. 7. Le pays Chatino. 8. La Chinantla. 9. En Atla Mixteca.

CHAPITRE III Les Champignons dans l'archéologie méso-américaine, par R. Gordon WASSON. 1. Les fresques de Teotihuacan. 2. Les « Champignons de pierre» du Guate­mala, des Chiapas et du Salvador. 3. Les « bols à champignons ». CHAPITRE IV Étude descriptive et taxinomique des Agarics hallucinogènes du Mexique, par Roger HEIM. Les Psilocybes. Le Strophaire. Le Conocybe.

CHAPITRE V Caractères embryologiques des Géophiles hallucinogènes (Psilocybe et Stropharia) , par Roger HEIM.

CHAPITRE VI Les caractères culturaux des Agarics hallucinogènes du Mexique, par Roger HEIM et Roger CAILLEUX. 1. Caractères culturaux en milieux artificiels stériles. 2. Caractères microsco­piques des mycéliums. 3. Caractères culturaux sur milieux naturels en condi­tions septiques.

CHAPITRE VII Psilocybine et Psilocine.

1. Déterminisme de la formation des carpophores, et éventuellement des sclérotes, dans les cultures des Agarics hallucinogènes du Mexique et mise en évidence de la Psilocybine et de la Psilocine, par Roger HEIM, Arthur BRACK, Hans KOBEL, Albert HOFMANN et Roger CAILLEUX.

2. La psilocybine, principe actif psychotrope extrait du Champignon hallucino­gène, par Albert HOFMANN, Roger HEIM, Arthur BRACK et Hans KOBEL.

3. La psilocybine et la psilocine chez les Psilocybes et Strophaires hallucino­gènes, par Roger HEIM et Albert HOFMANN.

4. Détermination de la structure et synthèse de la psilocybine, par A. HOFMANN, A. FREY, H. OTT, Th. PETRZILKA, F. TROXLER.

5. Étude pharmacologique de la psilocybine, par Aurelio CERLETTI.

CHAPITRE VIII Les effets psychiques. -Auto-expériences préalables.

I. Premières expériences personnelles réalisées avec les Champignons hallu­cinogènes mexicains, par Roger HEIM.

2. Rapport sur une auto-expérience avec le Psilocybe mexicana Heim, par Albert HOFMANN.

3. Rapport sur les expériences personnelles (Auto-expérimentation) avec la psilocybine, par Arthur BRACK.

4. Trois essais d'ingestion avec les Psilocybes hallucinogènes, par Roger CAILLEUX.

Étude psycho-physiologique et clinique de la psilocybine, par Jean DELAY, Pierre PICHOT, Thérèse LEMPERIÈRE, Pierre J. NICOLAS-CHARLES et Anne­ Marie QUÉTIN. CONCLUSIONS, par Roger HEIM.

Avec 17 planches hors-texte en couleurs, reproduisant les aquarelles de Roger HEIM, Renée GYSSELS, Michelle BORY, 20 planches hors-texte en noir, 14 dessins coloriés dans le texte, 69 figures en noir, 3 cartes, divers tableaux et un index (p. 319). Paris, décembre 1958.

Cet ouvrage est dédié à la mémoire de VALENTINA P. WASSON.

R. H.

R. G. W.

PREFACE

La présente publication apparaît d'abord comme le fruit d'une collaboration étroite, poursuivie pendant plusieurs années, entre M. R. Gordon WASSON et Mme Valentii1a Pavlovna WASSON d'une part, l'auteur de cette préface d'autre part, autour d'un thème précis qui eût semblé limité a priori dans les objectifs et dans les méthodes. Cette association a acquis cependant, au fur et à mesure du déroulement des travaux ainsi engagés, le caractère d'une entreprise élargie à d'autres concours, liée aux préoccupations auxquelles devaient participer des disciplines aussi diverses que l'ethnologie, l'archéologie, la linguis­tique comparée, la mycologie, la biologie culturale, la physiologie, et, plus récemment, la biochimie et pharmacodynamie, groupées dans l'étude d'un même domaine. Le problème dans la lumière vacillante d'étincelles bibliographiques s'est peu à peu vivifié au contact de la survivance des faits historiques et de la découverte précise de leurs objets. Ouvert en 1939 par Richard Evans SCHULTES d'une part, et par Jean Bassett JOHNSON d'autre part, dont les publications indépendantes et presque simultanées constituent les seules contributions contemporaines notables publiées avant 1940 et d epuis le XVIIe siècle sur les champignons sacrés des Indiens du Mexique, le domaine ethnomycologique, auquel se sont attachés passionnément V. P. et R. G. \V ASSON depuis une dizaine d'années, a trouvé dans cette matière que leur apportaient les champignons divinatoires de l'Amé­rique centrale une source nouvelle, exceptionnellement riche de substance. Quand, en 1953, les deux ethnologues de New York abordèrent le Mexique, leur contribution au cha­pitre ethnomycologique était déjà remarquable quoique inédite. Les investigations de M. et Mme WASSON s'appliquaient à l'analyse des relations « entre les champignons et les peuples dans leurs traditions, leurs habitudes culinaires, leurs littératures, leurs reli­gions, leurs arts plastiques, leurs vocabulaires, leurs symbolismes et leur histoire. Ils ont ouvert un chemin inconnu et exploré des terres encore vierges, de celles que les anciens géographes meublaient sur leurs cartes, faute de mieux, de la fameuse inscription : Hic sunlieones. Ici, il y a des lions.» (Georges B ecker.) Ces rapports entre l'Homme et le Cham­pigno;}, ils lC's ont cherchés à toutes les sources et perçus avec tous les arguments possibles, d'ordre linguistique, historique, psychologique, qui expliquent la mycophobie des Anglo­Saxons, la mycophilie des Slaves, des Provençaux et des Catalans. Ils ont été amenés, par l'étude particulière des tribus primitives de Sibérie, à interpréter l'usage de l'Amanite tue-mouches par ces populations comme servant en quelque sorte d'intermédiaire entre Dieu et les hommes. Ils ont confirmé de telles pratiques, en même temps qu'ils recher­chaient dans les symboles de l'art chinois, ou parmi les peuples européens, et ailleurs, par l'examen comparé de leurs langages et de leurs habitudes, comment les champignons avaient pu être utilisés pareillement aux premiers âges d e ces civilisations. Une thèse sur le rôle de ces êtres démoniaques dans les manifestations psychogéniques des peuples peu à peu se dessinait, appuyée sur une multitude de données nouvelles ou retrouvées. Une théorie originale était introduite dans l'histoire des religions. M. WASSON découvrait ainsi 10 PRÉFACE la survivance de certaines pratiques anciennes d'une telle nature en Nouvelle-Guinée, à Bornéo, au Pérou. Mais c'est le Mexique qui devait lui ouvrir la mine exceptionnelle de documents à cet égard. Le remarquable ouvrage en deux lomes publié en 1957 en collabo­ration avec Mme Valentina Pavlovna WASSON -Mushrooms Russia and Hisfory -consti­tuait une monumentale contribution à ces diverses facettes d'une science nouvelle. Les aspects ethnologique et linguistique propres aux champignons du Mexique s'y trouvaient déjà largement traités, dans deux des chapitres de ces volumes, et ils suggéraient une opinion hardie, mais passionnante, celle qui s'appliquerait au déroulement de pratiques nées de la Sibérie vers les étapes retrouvées : Bornéo, Nouvelle-Guinée, Pérou, Mexique, selon le trajet des migrations auxquelles l'opinion de certains ethnologues est attachée. Le présent livre en reprend tout d'abord la matière et la complète. En effet, depuis 1953, chaque année, Mme et M. W ASSON, soit ensemble, avec leur fille, soit ce dernier seulement, ont entrepris à travers le Mexique et le Guatemala, en pays mazatèque, mixe, zapotèque, nahua, maya, chatino, de fructueux voyages, parfois difficiles, qui les ont conduits à prendre contact avec les curanderos indiens, à participer aux agapes nocturnes, qui, depuis l'occupation espagnole, et bien avant, ont pu persister dans certaines régions reculées, quoique ces cérémonies fussent peu à peu modifiées dans leur rite et clairsemées dans leurs applications par la pénétration, hostile à de telles pratiques, du dogme catholique. On trouvera au début du présent mémoire les deux chapitres rela­tant, le premier, les acquisitions bibliographiques anciennes propres à ces usages, et que les premiers voyageurs nous ont livrées, au XVIe et au XVIIe siècle, le second, les résultats étranges, imprévus, sensationnels, des contacts rétablis entre les deux ethnologues de New York et les sorciers indiens du xxe siècle. Cette réminiscence des mœurs religieuses, conservées presque intactes dans quelques foyers de culture indienne, après quatre siècles de totale ignorance, de complet silence à leur propos, apparaîtra comme un événement notable dans l 'histoire des civilisations humaines. Depuis de longues années, déjà préoccupé, au cours de nos études sur la flore mycolo­gique tropicale, par l'aspect folklorique posé par les rapports entre les champignons et les populations primitives -à Madagascar notamment -, j'avais le grand plaisir d'entre­tenir avec M. et Mme "VASSON un échange d'idées ou de documents que bientôt les problèmes posés par l'usage des champignons sacrés au Mexique devaient intensifier. Toutes les récoltes mycologiques, recueillies par nos deux amis dans ce pays, ont été adressées par eux, depuis 1953, au signataire de ces lignes, étudiées par lui au Muséum National d'Histoire Naturelle, à Paris; elles ont constitué les matériaux initiaux et précieux, quoique encore incomplets, grâce auxquels j'ai pu poursuivre le'3 premiers examens descriptifs, en même temps que les procédés de culture artificielle, dont le laboratoire de Cryptogamie du Muséum de Paris est l'un des centres internationaux, me conduisaient à entreprendre, sur une vaste échelle, leur obtention sous la forme fructifiée, avec le concours de mon élève Roger CAILLEUX. Mais l'aspect essentiel de ces questions s'identifiait tout d'abord aux propriétés mêmes des champignons en cause. C'est à M. et Mme "VASSON que revient le mérite d'avoir, les premiers parmi les Blancs, participé directement aux cérémonies indiennes, absorbé au moins deux des espèces de champignons sacrés -Psilocybe mexicana et caerulescens var. Mazafecorum -, éprouvé les étonnants symptômes que les auteurs espagnols des XVIe et XVIIe siècles avaient signalés d'après les relations des indigènes, décrit en détail ces sensa­tions. En juin 1956, avant l'expédition que je devais entreprendre au Mexique avec MM. R. G. WASSON et Guy STRESSER-PÉAN (juillet-août 1956), ayant obtenu vivante, au PRÉFACE 1 1 laboratoire, à Paris, l'une des espèces en cause -le Stropharia cubensis -, j e réalisai à mon tour un premier essai concluant d'absorption. L'entreprise de 1956 -qui suivait un premier voyage au Mexique et en Amérique centrale que j'avais effectué en 1952 -me permettait de reprendre contact avec la flore mexicaine et d'accompagner R. Gordon WAS­SON chez les Mazatèques, puis chez les Chatinos et les Aztèques, et d 'y participer aux agapes fongiques. De cette fructueuse mission, je rapportais une moisson mycologique abondante -environ trois cent cinquante espèces de Macromycètes -et la plus grande partie des formes hallucinogènes utilisées par les Indiens: six espèces, à l'état sauvage et sous forme d'isolements réalisés sur place en culture sur milieux artificiels. A Paris, avec mon collaborateur Roger CAILLEUX, qui m'aidait dans l'obtention des souches à partir des sporées recueillies et dans la mise au point des procédés de culture sur composts, non seulement nous nous procurions par cette voie la matière première nécessaire aux travaux d'ordre chimique et pharmacodynamique, mais nous étions en mesure de résoudre, par la ségrégation des souches, les problèmes taxinomiques posés dans l'imbroglio difficile des formes hallucinogènes de Psilocybes, principal genre auquel se réfèrent les espèces sacrées des Indiens. Les réussites culturales obtenues au Muséum livraient, en effet, un grand nombre de carpophores, permettaient d'en distinguer les souches, et m'autorisaient à répéter les essais d'ingestion précédemment effectués à Huautla de Jiménez et à New York par les WASSON et par leur photographe Allan RICHARDSON, en pays mazatèque par moi­même, avec R. G. WASSON, en compagnie de Guy STRESSER-PÉAN, du Musée de l'homme, et de J. MOORE, de l'Université Delaware. Mais cette mise au point exige des remerciements à l'égard de tous ceux qui, à New York, à Paris, à Bâle, à Mexico, nous ont apporté à des titres divers leur concours. Notre gratitude va, bien entendu, aux savants collaborateurs dont les noms sont direc­tement associés aux textes qui suivent et à ceux qui ont facilité ce travail en équipe. En premier lieu à l'éminent chimiste des Laboratoires Sandoz, de Bâle, M. Albert HOFMANN, dont la part dans la découverte de la psilocybine, de sa formule et dans la synthèse de ce corps est fondamentale, et à ses préparateurs, à MM. Arthur BRACK et Hans KOBEL qui ont entrepris sur une plus grande échelle l'examen du déterminisme de la fructification et de la formation des sclérotes chez un des Agarics hallucinogènes, et se sont livrés, comme M. A. HOFMANN, à notre suite, à quelques essais d'absorption; particulièrement, à M. Roger CAILLEUX qui fut au Muséum le collaborateur précieux et journalier pour tout ce qui a touché au problème de la culture artificielle d es champignons; enfin aux concours que nous ont apportés M. le professeur Jean DELAY, de l'Académie de Médecine de Paris, et ses collaborateurs, les docteurs Pierre PICHOT, P. J. NICOLAS-CHARLES et Thérèse LEM­PERIÈRE, dans les premières études d'ordre psychiatrique, qui se révèlent pleines d'intérêt. Je ne voudrais pas oublier ce que ces collaborations doivent à la confiance que m'ont consentie MM. Yves DUNANT, J. RENZ et A. CERLETTI, des .Etablissements Sandoz, et aux contributions de ce dernier physiologiste dans le domaine de la pharmacodynamie. Je remercierai encore M. Marcel FRÈREJACQUE, qui a poursuivi, au Laboratoire de Chimie appliquée aux corps organisés du Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, quelques premières investigations d'ordre chimique, qui sont restées inédites, sur le Stro­phaire, de 1954 à 1957. Mais notre reconnaissance s'exprime aussi à tous ceux qui nous ont aidés à des titres divers au cours de nos voyages ou dans la recherche des sources de docu­mentation. En premier lieu à M. Guy STRESSER-PÉAN, l'éminent ethnologue du Musée de l'Homme et de l'Ecole des Hautes .Etudes, de Paris, dont les connaissances infaillibles sur tous les problèmes propres à l'histoire et à l'ethnologie mexicaines ont permis de dis­cuter et parfois d e compléter certains points des textes présentés par nos amis WASSON. 12 PRÉFACE Avec attention, il a revu le chapitre 1 du livre et l'a enrichi de quelques remarques. M. Robert WEITLANER et sa fille, Irmgard WEITLANER-JOHNSON, ont été des informateurs précieux pour M. et Mme W ASSON: leur connaissance exceptionnelle des mœurs des Indiens mazatèques a permis d'aiguiller heureusement certaines recherches, et je suis personnel­lement reconnaissant à Robert VVEITLANER d'avoir aidé Guy STRESSER-PÉAN dans les investigations menées en 1957 à Tenango dei Valle, qui m'ont conduit à caractériser le Psilocybe liVassonii et ses propriétés remarquables. Je n'oublierai point non plus, ni M. R. G. WASSON, l'appui que Mme Carmen COOK DE LEONARD et son mari nous ont prêté dans nos recherches chez les N ahua s du Popocatepetl. J 'y joindrai mes personnels remerciements au sympathique et ardent botaniste mexicain Teofilo HERRERA, qui voulut bien m'accompagner dans quelques excursions autour de Mexico et notamment dans la Vallée de Toluca d'où il m'expédia ultérieurement d'intéressants matériaux. La reconnaissance de M. et Mme WASSON s'exprime également à l'égard des Directeurs du Summer Institute of Linguistics (1 nslilulo Linguislico de Verano), et à leurs collabora­teurs, pour l'aide qu'ils leur ont apportée. La traduction de nombreux termes vernaculaires relatifs aux champignons et aux rites qu'ouvre l'utilisation de ceux-ci, termes rédigés en cinq langages à peine connus qui sont aujourd'hui seulement pour la première fois livrés sous une forme écrite par des linguistes compétents, présentait d'épineuses difficultés. Pour toutes ces questions, M. et Mme "VASSON se sont appuyés solidement sur les experts de cet Institut, plus spécialement sur Eunice V. PIKE, Mr. et Mrs. George COWAN, Walter MILLER, Searle HOOGSHAGEN et Bill UPSON. Dans le pays chatino, notre voyage a profité de la chaude hospitalité de M. UPSON, et M. HOOGSHAGEN, dans la Mixeria, s'est révélé lui­même un excellent botaniste collecteur. Dans la représentation des mots vernaculaires propres aux champignons mexicains, la prononciation a été traduite, d'une façon approxi­mative tout au moins, par l'usage de certains signes conventionnels qui seront compris de tous les linguistes. L'apostrophe représente la fermeture glottique, les deux-points s'appli­quent à l'importance quantitative d'une longue syllabe, et le chiffre représente le degré de tonalité correspondant, dans ces langages, à la prononciation d'une syllabe, le taux le plus élevé étant le l, et le plus bas, le 3 ou le 4. Cette méthode de représentation des mots semble préférable aux formules variées et simplifiées qui ont été employées dans l'enseigne­ment des indigènes, destiné à leur apprendre à lire leurs propres langages écrits. La gratitude de M. ct Mme \VASSON s'adresse aussi à M. Jean B. TREMBLAY, carto­graphe de l'American Geographical Society, qui leur a proposé bénévolement de réaliser les remarquables cartes qui accompagnent les premiers chapitres de ce livre. Elle s'applique aussi au photographe AI!an RICHARDSON, qui fut le compagnon de plusieurs voyages des WASSON, qui fut le mien aussi en pays mazatèque, et dont la compétence profession­nelle était l'égale de la bonne humeur, de la complaisance infinie, qui a contribué au plein succès des expéditions auxquelles il a participé. Nous ne saurions surtout oublier Her­linda MARTINEZ CID, institutrice mazatèque de Huautla de Jiménez, dont l'hospitalité parfaite, la simplicité de l'accueil, la grâce, l'intelligence et le sourire furent pour nous tous, et particulièrement pour mes amis WASSON, un véritable bienfait des dieux. Il nous resterait à traduire notre pensée à l'égard des curander03 et des curanderas, au premier rang desquels s'impose la personnalité puissante de Maria SABINA que M. WAS­SON a fait revivre ci-après. Ce dernier exprime d'autre part sa reconnaissance, au long des trois chapitres qu'il a rédigés, à ceux dont les informations lui furent utiles. Nous ne saurions manquer de remercier aussi ceux qui ont participé à la réalisation matérielle de ce livre, et particulièrement les traductrices qui m'ont aidé à rédiger en PRÉFACE français les textes que M. R. G. WASSON avait écrits en langue anglaise (1). Deux artistes de valeur m'ont prêté leur appui dans la réalisation de quelques-unes des aquarelles ici réunies, en premier lieu Mme Renée GYSSELS, de Bruxelles, également Mme Michelle BORY, de Paris. Mme Renée HACCARD a notablement contribué, à Paris, à la réalisation de certaines photographies, tandis que M. Allan RICHARDSON leur consacrait au Mexique, pour beaucoup d'entre elles, son talent. Mais c'est à M. Louis MÉRY que revient la part essentielle dans la réussite typographique d'un ouvrage dont il n'a cessé de surveiller la composition et la réalisation délicate des planches: que son dévouement à cette tâche trouve ici l'expres­sion de ma reconnaissance, qui se prolonge dans mes remerciements au maître impri­meur LAHURE. Cependant, bien des collaborateurs modestes mériteraient encore d'être mentionnés. Ils ont tous, vis-à-vis du problème étudié, d'autres mérites que n'en cherchent à acquérir les docteurs impatients lancés sur nos traces avant même que nos conclusions eussent été déposées. Certains de ces habitants des villages de la province d'Oaxaca seront cités au passage dans les textes qui suivent. Mais beaucoup d'autres resteront à tout jamais ano­nymes parmi les Indiens du Mexique méridional les entreprises de R. Gordon WASSON purent réussir et nos prospections mycologiques aboutir grâce à la conviction de leur appui. Nous ne saurions oublier que le chapitre ouvert par R. E. SCHULTES, puis par M. et Mme WASSON, élargi, enrichi, développé ci-après, doit à la persistance des traditions la raison même de notre travail commun, à l'attention des Indiens l'atmosphère de relative facilité il a pu se dérouler, au concours qu'ils nous ont apporté sur place en nous guidant vers ces espèces fongiques que déjà leurs lointains ancêtres utilisaient, bref, à la loyauté de leur sympathie, les meilleures chances de notre réussite. A eux tout d'abord, à l'œuvre de leurs ancêtres, à la ténacité de leur foi dans leurs coutumes va, comme un hommage du respect de l'Homme pour l'Homme, l'expression de l'attachement que ces études ont fait naître, entre eux et nous. ROGER HEIM. (1) Mlles M. BRIN, 1. MALZY el S. PRÉTOT m'onl apporté leur concours pour ces traduc llons. M. G. BECKER a bien voulu revoir ['un des chapitres. Mlle J. PELLIER m'a aidé fort efficacement dans la révision délicate de cerlains tex.tes, la correction des épreuves et l'établissement de l'index. Now; les en remercions très vivement.


PRÉFACE
La présente publication apparaît d'abord comme le fruit d'une collaboration étroite, poursuivie pendant plusieurs années, entre M. R. Gordon WASSON et Mme Valentii1a Pavlovna WASSON d'une part, l'auteur de cette préface d'autre part, autour d'un thème précis qui eût semblé limité a priori dans les objectifs et dans les méthodes. Cette association a acquis cependant, au fur et à mesure du déroulement des travaux ainsi engagés, le caractère d'une entreprise élargie à d'autres concours, liée aux préoccupations auxquelles devaient participer des disciplines aussi diverses que l'ethnologie, l'archéologie, la linguis­tique comparée, la mycologie, la biologie culturale, la physiologie, et, plus récemment, la biochimie et pharmacodynamie, groupées dans l'étude d'un même domaine. Le problème dans la lumière vacillante d'étincelles bibliographiques s'est peu à peu vivifié au contact de la survivance des faits historiques et de la découverte précise de leurs objets.
« Le paradis de Tlaloc », dieu de la Pluie et de la Végétation.

D'après les travaux de Robert Gordon Wasson et de W. La Barre, l'usage des plantes psychotropes remonte à au moins 15 000 ou 20 000 ans avant notre ère et à au moins 100 000 ans (première sépulture connue) pour Peter T. Furst qui considère comme nécessairement contemporaines la pratique du chamanisme et la ritualisation de la mort. Selon ces auteurs, les plantes psychotropes seraient essentielles dans l'idéologie et la pratique religieuse sur l'ensemble de la surface de la planète ; l'extrême ancienneté de leur usage serait déterminée par leur uniformité de pratique et de thématique malgré les différences ethniques et géographiques. Cette uniformité témoignerait d'une structuration inconsciente programmée culturellement à accepter l'expérience extatique dans le cadre d'un culte organisé. Ainsi, les chasseurs du paléolithique arrivés en Amérique étaient culturellement prédisposés à collecter des plantes psychotropes et à les préparer.

La sédentarisation due à la révolution du néolithique aurait permis l’institutionnalisation de la religion occultant peu à peu l'origine chamanique au point de l'oublier comme c'est le cas en Europe, où peu de ces rituels ont persisté. À l'inverse, d'autres auteurs, considèrent l'usage de substances psychotropes comme une dégénérescence des pratiques chamaniques originelles qui seraient fondées sur la « pure expérience religieuse spontanée ».

Quoi qu'il en soit, ces plantes ne possèdent pas, pour les ethnies qui les utilisent, une image de plante magique ou de chair des dieux dotée de pouvoirs surnaturels qui sont partagés par celui qui les consomme. Le fait qu'elles soient intégrées dans un rituel social, mystique ou religieux leur permet de bénéficier d'une tolérance socio-culturelle qui s'accompagne d'une tradition - souvent orale - de l'usage de cette substance. Cette tradition véhicule les prescriptions d'usage, les quantités à utiliser, les dangers relatifs à l'usage et permet d'installer une sorte d'équilibre relatif entre le produit et les usagers.

Maya_statues_3_redim3000Dès que l'homme sait laisser des traces de son passage, les plantes psychotropes sont représentées que ce soit dans l'art pictural, dans les sculptures ou dans les premiers écrits, ce qui témoigne de leur importance dans la société. Ces traces permettent notamment aux spécialistes d'apporter une datation des usages.

L'usage d'Amanita muscaria remonte à 7 000 ans avant notre ère - voire au paléolithique - et se serait répandu au cours des migrations de la Sibérie jusqu'au nord de l'Inde7. L'usage de Calia secundiflora aurait 6 000 ou 7 000 ans d'âge selon des traces archéologiques trouvées dans des grottes du Texas. L'usage de la coca en Amérique latine remonte à près de 5 000 ans. La culture du pavot à opium était connue en Mésopotamie 4 000 ans avant l'ère chrétienne. L'usage de champignons hallucinogènes en Amérique daterait d'au moins 3 000 ans, tout comme l'usage du tabac et du San Pedro dont il existe des représentations sur des tissus de l'époque chavin. L'usage du cannabis pour ses propriétés psychotropes est mentionné dès 2 737 av. J.-C. dans le Shen nung pen Ts'ao king. L'usage du peyotl est représenté sur des pièces d'art funéraire précolombien du Mexique occidental datant d'il y a 2 000 ans. L'Ipomoea violacea est représentée sur des fresques de Teotihuacan et de Tepantitla datées de 400 ou 500 après J.C.

Wasson_closeLes premières sources par R. Gordon WASSON

Quand les Espagnols conquirent le Mexique, ils furent profondément impressionnés par le drame que constituait le choc de deux civilisations et ils nous ont laissé un legs précieux de documents décrivant ce Nouveau Monde qui s'ouvrait devant leur regard étonné. Parmi ces archives on trouve un certain nombre de champignons hallucinogènes. [...] Nous avons réuni plus de vingt références sur les champignons et nous traduirons en regard des originaux. Ceux qui lisent l'espagnol goûteront le style des vieux auteurs, concis, souple, dépourvu d'artifice littéraire, attestation de témoins couchant sur le papier pour la postérité ce qu'ils ont vu, entendu et expérimenté, colorant souvent leurs commentaires de sentiments religieux habituels à cette époque. – Archives du Muséum d'Histoire Naturelle de Paris.

* (1) Voir références p. 43.

   (2) Le Dr Rolf SINGER, mycologue, a tardivement réclamé une certaine priorité dans le domaine de nos recherches et prétendu que les articles contemporains sur les champignons hallucinogènes ont omis de le mentionner. Si de telles publi­cations n'ont pas cru devoir le désigner, il est le seul à en être blâmé. Nous avons été, semble-t-il, extrêmement attentifs à attribuer leur part à tous ceux qui avaient pu approcher ce sujet. Nous n'avons jamais appris quoi que ce soit sur l'intérêt que le Dr SINGER eût pu porter à de telles préoccupations jusqu'en 1957, quand nous le rencontrâmes à Huautla, peu de temps après que notre livre, Mushrooms Russia and History, et divers articles ou notes, de moi-même d'une part, du Prof. Roger HEIM d'autre part, eurent paru. Il s'agissait alors de sa première visite au Mexique. Il semble que le Dr SINGER, alors qu'il appartenait au personnel scientifique de la Harvard University, comme mycologue, de 1941 à 1948, découvrit, parmi les spécimens que le Dr SCHULTES avait rapportés de son voyage au Mexique, un champignon sec qui n'avait pas été encore examiné et que M. SINGER désigna sous le nom de Psilocybe cubensis (Earle) SINGER, mais il n'informa jamais le Dr SCHULTES de cette mise à jour.

Lorsque nous lui écrivîmes en 1952-1953, pour solliciter un renseignement au début de nos inves­tigations mexicaines, il nous signala qu'il existait une espèce de Psilocybe utilisée par les Indiens du Mexique « as a drug», mais à notre demande de précision à cet égard, il ne nous répondit jamais.

Dans un livre de plus de 800 pages, paru en 1 95 l, Agaricales, consacré à la Systématique générale des Champignons de ce vaste groupe, il apparaît simplement à la page 509 la brève allusion suivante : « At least one species (of Psilocybe) is used as a drug in Mexico (causing a temporary state of hilarity) but is poiso­nous when used in excess ». Le Dr SINGER n'ajoute pas la moindre indication sur celui qui identifia ce champignon, ni sur le fait qu'il avait emprunté au Dr SCHULTES ses notes de voyage, prises au cours de l'expédition entreprise par ce dernier à Huautla. Dans un autre paragraphe du même livre, l'espèce est identifiée au Ps. cubensis - nom nouveau de genre concernant une ancienne espèce de EARLE incluse,  à juste titre d'après R. HEIM, parmi le genre Stropharia -mais on

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