Petite histoire de la mycologie, par Georges Becker
Dans un coin de ma bibliothèque dort un vieux dictionnaire de 1750, qui, à l'article champignon, donne une définition extraordinaire : « Sorte de masses spongieuses qui croissent sur la terre quand il pleut. On peut les manger quand aucun crapaud, ni fer rouillé, ni serpent ne les a touchés. Autrement, ils donnent aux imprudents des flux de ventre qui vont jusqu'aux coliques de miserere ». Nous sourions avec indulgence à cette lecture. Et cependant, pendant des siècles, on n'en a pas su davantage. Il n'y a rien là d'étonnant. Les champignons, sans racines, sans fleurs, sans fruits visibles, inconstants, capricieux et multiformes, apparaissent comme des créatures absurdes et un peu sorcières. Les plantes ordinaires étaient débrouillées depuis longtemps que nos amis n'avaient ni ordre ni noms. A peine quelques espèces particulièrement frappantes et largement consommées étaient-elles à peu près définies.
Les Romains connaissaient l'Oronge, qu'ils faisaient cuire dans du vin miellé et qu'ils appréciaient plus que tous les autres; ils mangeaient aussi le cèpe, le champignon de couche, la truffe et la Pholiote du peuplier. Les naturalistes grecs s'en étaient peut-être occupés, mais leurs écrits se sont perdus et nous ne savons rien de ce qu'ils en pensaient.
Les Latins n'ont pas eu le sens naturaliste, et seul Pline l'Ancien a raconté quelques histoires à leurs propos. Mais c'est peu de chose, et autant vaut n'en rien dire. Pour imaginer la difficulté de la tâche qui se présentait, supposez que, sans rien savoir d'avance, on vous demande, devant un panier contenant mille espèces, de les classer par catégories. Que feriez-vous ? Il est probable que vous mettriez ensemble tous ceux qui ont des lamelles, puis tous ceux qui ont des tubes, puis tous ceux qui ont des pointes, puis tous ceux qui sont coralloïdes, puis tous ceux qui sont sphériques, et il en resterait un petit tas de ceux n'ayant aucune forme définie que vous laisseriez se débrouiller tout seuls de leur côté. Eh bien ! Vous auriez fait la même chose que les premiers botanistes qui se sont occupés des champignons. Ils ont fait une classification purement morphologique. La forme, pour eux, était tout, puisque c'était tout ce qu'ils savaient observer.
Linné lui même, qui avait établi la sexualité des plantes supérieures et avait bâti sa classification sur cette idée féconde, ne trouvant aucune trace d'organes compréhensibles chez les champignons, se contente de les ranger à peu près comme le ferait un observateur inculte d'aujourd'hui. Et pourtant, qu'aurait-il dit devant une classification des Phanérogames qui les diviserait d'après leur forme en Arbres, Arbustes, Arbrisseaux, Herbes, Oignons et Rhizomes ? Dans l'ignorance où il était de la reproduction des champignons, il en est arrivé à un système de cette sorte. Ce qui ne l'a pas empêché, car il avait du génie, de définir soigneusement quelques espèces, qu'il a nommées le premier avec beaucoup de flair.
Mais — car vous avez l'esprit pénétrant, — après un moment de légitime fierté, vous concevez quelques doutes sur la valeur de votre classement. Vous vous dites que vous vous êtes fié à des signes extérieurs aussi peu significatifs que ceux dont se sert votre percepteur pour établir votre feuille d'impôt. Et, comme vous avez acheté un microscope la semaine dernière, vous décidez d'aller voir ce qui ne se voit pas pour en tirer enseignement. Vous avez vu qu'un champignon abandonné à lui-même laisse échapper une poussière colorée. Vous mettez cette poussière sur une lamelle de verre, la lamelle sous l'objectif, et vous regardez. Que peuvent bien être toutes ces petites cellules rondes ou ovales et de toutes les couleurs ? Vous avez trouvé : c'est du pollen, et les champignons sont donc des fleurs ! Il n'y aura plus qu'à découvrir les pistils et les graines, et si vous croyez le faire, vous en serez au même point que le botaniste Micheli en 1729. Tant il est vrai qu'on découvre toujours facilement ce qu'on désire !
Pourtant, pris de méfiance après le premier enthousiasme, vous regarderez mieux et vous verrez, comme Gleditsch en 1753 et un peu plus tard Adanson, que les spores sont bien des graines. Vous les observerez d'abord sans peine dans les asques des Pézizes, où elles sont sagement rangées par huit. Rien de plus plaisant sous le microscope que ces sacs allongés et bourrés à craquer d'où les spores s'échappent comme de minuscules projectiles à air comprimé. Mais comme vous êtes un observateur très fin, vous ne commettrez pas la même erreur que ces vénérables ancêtres, qui ayant vu des asques aux Morilles, décrétèrent qu'il y en avait dans tous les champignons, et qui les virent.
Alors, ayant en gros compris le rôle d'organes jusque-là méconnus, vous ferez comme Persoon au début du siècle dernier. Vous classerez vos espèces non plus d'après leur forme extérieure seulement, mais d'après la présence ou l'absence et la nature de ces organes. Persoon a ainsi proposé un certain nombre d'idées et de groupements rejetés par ses contemporains, mais reconnus aujourd'hui prophétiques. Ce brave Hollandais qui vécut à Paris, où on peut voir encore son tombeau au Père-Lachaise, est un des véritables pères de la Mycologie.
Pourtant, en présence de vos mille espèces, les plus belles idées du monde ne vous satisfont point encore. Vous allez être tenté, pour les ranger, de vous engager sur une voie nouvelle. Vous vous avisez tout à coup que les spores sont de couleurs différentes, et vous allez disposer vos champignons selon ce nouveau critère. Vous croirez avoir trouvé une lumière définitive. Car vous obtenez ainsi cinq séries parallèles où se retrouvent des genres analogues. Aux Amanites à spores blanches correspondent les Volvaires à spores roses, les Locellina à spores ochracées, les Chitonia à spores pourpres, et certains Coprins à spores noires. Tout va s'organiser avec une symétrie admirable. Les champignons, docilement, vont se placer d'eux-mêmes dans les compartiments préparés pour eux. La classification apparaît ainsi comme un « système » inexpugnable et dictatorial qui permet un repos complet pour l'esprit. Vous connaîtrez peu à peu vos mille espèces, et tous vos voisins et amis s'inclineront devant votre science et votre certitude. Vous aurez fait ce qu'a voulu le mycologue Fries.
Ce Suédois à l'esprit synthétique et puissant, qui a connu et nommé une quantité incroyable d'espèces, s'est révélé un descripteur et un ordonnateur de premier ordre. Ce qui lui a manqué, c'est une étude plus approfondie des tissus des champignons. Il le savait et s'en excuse. Il se présente lui-même comme un retardataire qui n'a pas eu le temps. Sans quoi il aurait groupé ses espèces d'une façon beaucoup plus sûre et il aurait pu tenir compte de la structure interne de ces plantes. Il aurait vu certainement que les Bolets ne sont pas des Polypores et que les Trémellodons ne sont pas des Hydnes. Il aurait vu que l'anneau n'a pas l'importance qu'il croyait et qu'il peut avoir toutes sortes de sens différents, de sorte qu'il ne suffirait pas à légitimer le genre Armillaria où il a confondu tous les Clitocybes et tous les Tricholomes plus ou moins annelés. Il aurait fallu surtout, peut-être, qu'il s'avisât, en examinant la forme extérieure des champignons, qu'il n'y a que trois moyens de multiplier une surface : les plis, les pointes et les trous, et que l'identité de solutions n'implique pas l'identité de l'origine.
Mais, au lieu de critiquer ces menues erreurs et de lui en faire des crimes, comme on le fait trop facilement aujourd'hui, on doit plutôt admirer que, par simple intuition, il ait pu, dans l'ensemble, deviner les affinités avec tant d'exactitude et classer certains genres difficiles, comme les Cortinaires, avec une perfection telle qu'on y a ajouté depuis que quelques améliorations mineures. Et, chose étrange, si après avoir inventé le système friesien vous vous mettez à le dédaigner, vous ne pourrez, comme les successeurs de Fries, que partir de lui pour l'améliorer. Car les groupes qu'il avait défini ont été interprété autrement et mis dans un autre ordre, certains genres ont été pulvérisés et d'autres rapprochés, certaines espèces divisées et d'autres fondues ensemble, mais l'appareil de la forteresse est encore là et la Mycologie moderne n'a fait souvent qu'en utiliser les moellons écroulés pour d'autres fins.
Entre temps, pour fixer vos souvenirs, vous avez peint des champignons. Quelques centaines de bonnes aquarelles, puisque vous avez du talent, ne vous ont pas fait peur, et vous avez refait l'atlas de Bulliard. Ce mycologue français a accumulé, grâce à ses dessins si exacts, une somme considérable de matériaux pour ses successeurs, et ils en ont tous largement profité sans en rien dire. Et voilà que, sans vous en douter, vous avez constitué, inventé, pourrait-on dire, la Mycologie, avec ses méthodes et son objet, que vous n'aurez plus qu'à préciser au fur et à mesure de vos découvertes.
Déjà un peu rassuré par ce que vous savez, vous allez vous aventurer en terre inconnue en examinant examinant de plus près la structure de l'hyménium. Vous vous douterez tout à coup, comme Léveillé en 1843, que les tissus qui portent les spores recèlent sans doute des secrets inattendus, et vous y braquerez votre microscope. Vous stupéfierez le monde savant en lui apprenant l'existence des basides, que vous distinguerez des asques. Vous vous demanderez en même temps comment vous aviez fait pour ne pas vous en apercevoir plus tôt, tant ces organes tombent sous le sens à la moindre observation. Mais, en y réfléchissant, vous avez des excuses. On avait vu avant Léveillé ces organes, mais sans les comprendre, parce qu'ils n'ont pas d'analogue dans le monde vivant. Nous qui savons dès l'école primaire ce que sont les asques et les basides, nous les voyons tout de suite sous l'objectif. Si nous ne le savions pas, nous ne verrions rien du tout et, en conséquence, nous n'avons à nous moquer de personne.
Alors, comme Léveillé, vous pourrez établir parmi les champignons une coupure nouvelle : les Ascomycètes, d'une part, et les Basidiomycètes, de l'autre. Les mycologues du temps, après quelques protestations, se rendirent à l'évidence et acceptèrent ces nouveautés qui semblent devoir survivre longtemps puisqu'elles sont l'expression de la réalité même.
Cette découverte va vous permettre comme aux frères Tulasne, de voir clair dans les champignons souterrains. Jusque là on les avait tous rangés dans la même famille, parce qu'ils ont tous la même forme. En regardant mieux, vous vous apercevrez que comme les champignons aériens, ils sont farcis d'asques pleines de spores ou de basides qui tapissent les parois de leurs logettes intérieures. Là encore, l'analogie formelle était trompeuse parce que trop simple, et la structure réelle devait être recherchée au-delà du visible à l'oeil nu.
Enhardi par ces succès, vous voudrez aller beaucoup plus loin encore et vous passerez beaucoup plus de temps dans votre laboratoire. Vous connaissez bien vos espèces, elles sont claires dans votre esprit. Mais c'est encore une connaissance en vrac, si j'ose dire, et pour y mettre un ordre satisfaisant, les difficultés sont immenses. Il s'agit en somme, pour vous, de découvrir les ressemblances profondes sous la variété fallacieuse des formes et aussi de découvrir les différences essentielles sous les apparences semblables. C'est un travail énorme d'observations de plus en plus fines et de plus en plus serrées qui devient nécessaire.
Vous allez faire appel à la chimie et étudier de plus près des organes jusque-là négligés, comme les cystides, les lacticifères, la cuticule, qui donneront des indications intéressantes. Au lieu de faire seulement de l'anatomie analytique du champignon adulte, vous allez étudier les lois de son développement du mycélium à la décrépitude, comme le fit le Genevois Fayod. Toutes ces observations vous amèneront à des regroupements nouveaux, à des vues plus larges, et à une philosophie des champignons de plus en plus souple et complexe. Vous avez vu que les lamelles des Agarics ne sont pas toutes de la même nature. Leur trame présente des différences d'organisation telles, et leur formation même suit des processus si étrangers les uns aux autres, que pour vous l'ancien genre Agaricus ne tient plus debout. Rien de commun entre une lame d'Amanite et une d'Hygrophore, entre une lame de Russule et un pli de Chanterelle, entre une lame de Tricholome et une de Coprin. Vous serez donc conduit, comme Fayod lui-même, à distinguer dans les Agaricales, quelques séries parallèles, que vous diviserez en genres selon les signes mineurs qu'offrent leurs différents groupes. La belle classification, immobile comme l'absolu de Fries, se lézarde sous vos yeux. Plus vous comprenez et moins les champignons deviennent simples. Vous découvrez chaque jour des caractères qui vous avaient échappé, des espèces encore inconnues et dont la place est douteuse, et des ensembles de caractères qui vous poussent à couper en deux un genre ou un autre.
Comme Lucien Quélet, cet obscur médecin d'Hérimoncourt, vous voudrez tout connaître. Votre sens aigu de l'observation vous aura permis de tout déterminer et de nommer ce qui était encore inconnu. En explorant le Jura et les Vosges, vous aurez beaucoup réfléchi et vous ferez profiter vos contemporains de votre expérience en publiant une flore qui se consulte encore avec profit. Quelle étrange destinée que celle de cet homme opiniâtre et têtu, considéré un peu comme un maniaque par ses contemporains, mais dont le nom a fait le tour du monde et ne se prononce plus aujourd'hui qu'avec vénération ! Car, si Quélet a réinventé une nomenclature complètement nouvelle et révolutionnaire qui, dans l'ensemble, n'a pas été ratifiée par ailleurs, il a fourni tant d'aperçus ingénieux et il a eu une telle influence sur ses disciples qu'il a donné à la Mycologie française une impulsion qui n'est pas près d'être épuisée. Il a laissé derrière lui une tradition vivace, qui s'est perpétuée particulièrement dans sa Franche-Comté natale, où son souvenir ne meurt pas.
C'est à la suite de Quélet qu'il faut citer un mycologue comme Frédéric Bataille. Ce fut un homme d'une intégrité et d'une conscience extraordinaires. Sa connaissance des champignons était presque illimitée. Il a laissé derrière lui des monographies sur les Hygrophores, les Bolets et les Cortinaires, qui sont devenues classiques. Son influence orale a été immense sur tous ceux qui l'ont connu. Son seul défaut, si c'en est un, fut un excès de vénération pour Quélet, qui l'empêcha peut-être d'oser exprimer les idées originales qui lui venaient en foule. Cet excès de modestie est une chose bien rare dans l'histoire des sciences. Costantin et Dufour, Bigeard et Guillemin eux aussi ont composé des flores qui ont marqué d'importantes étapes et qui ont le mérite d'être moins introuvables que les autres.
Il ne faudrait pas croire, quel que soit l'état de la Mycologie française, qu'elle fut la seule à briller sur le monde. En Angleterre, en Italie, en Allemagne, en Tchécoslovaquie se sont révélés aussi d'excellents observateurs. L'atlas de l'Anglais Cooke et les travaux de Berkeley, l'atlas de l'Italien Bresadola, enfin, plus près de nous, les merveilleux Agarics du Danois Lange mériteraient tous bien mieux qu'une simple mention.
Mais nous devons nous limiter, en citant encore, cependant, la flore de l'Allemand Ricken, discutable à bien des points de vue et accompagnée des figures les plus laides qu'on puisse rêver. Cependant, Ricken donne des descriptions à peu près parfaites et dont la méthode est adoptée aujourd'hui partout. Le Tchèque Pilat a lui aussi entrepris la publication d'une flore énorme et très intéressante, accompagnée non plus de figures, mais de documents photographiques. Il ne semble pas, malgré les apparences, que ce procédé constitue un progrès réel sur l'illustration classique à moins d'être en couleurs. Mais ici c'est le texte qui importe, et l'image n'est qu'un accessoire.
Et maintenant, si après être parti de l'enfance de la Mycologie, vous voulez devenir un mycologue adulte, il faut fréquenter ceux qui sont encore vivants, ou presque. Rien qu'en France, ils sont innombrables. Saluons la mémoire toute fraîche de Bourdot et Galzin, dont les Hyménomycètes de France sont un monument admirable consacré aux Phylactériées, aux Clavariacées et aux Hydnées, plus la Flore de Kühner et Romagnesi déjà cités.
Ce qu'on appelle la Mycologie moderne a dû son essor à un très grand esprit : Narcisse Patouillard. Ce Jurassien obstiné, dont les connaissances n'étaient peut-être pas plus étendues que celles de ses contemporains, avait sur eux une supériorité incontestable : la largeur de l'intelligence. Je veux dire qu'il ne négligeait rien et n'avait aucune idée préconçue. L'Eupalinos de Valéry prétend qu'il n'y a pas de détails en architecture. Pour Patouillard, il n'y avait pas de détails en Mycologie. Il a examiné avec patience les éléments les plus négligés des champignons : poils, cystides, écailles, cuticule, lacticifères et en a tiré des conclusions qui ont bouleversé toutes les idées admises. Il est le premier à avoir compris les Bolets. Il a débrouillé le chaos des Tomentelles, des Auriculaires, des Stéréums. Il a expliqué les mystérieux Ptychogasters. Il a épuisé les Lépiotes, il a classé les Polypores, inventé quantité d'espèces et de genres aujourd'hui évidents. Sa mort, en 1921, a été ressentie comme une perte irréparable.
Qui citer parmi les plus proches ? René Maire (mort à Alger en 1950) d'abord, qui débrouilla les Russules et qui fut un des plus prodigieux connaisseurs de champignons de l'heure actuelle. On ne voit, en tous cas, personne qui puisse lui disputer le titre. Doué d'une mémoire qui tenait du prodige, il déterminait instantanément et sans appel les moindres brimborions dont la Mycologie est un peu trop généreuse. Maublanc, ce savant solide et profond dont seule sa modestie a empêché d'être jugé à sa vraie grandeur. Non seulement il représentait une autorité mondiale dans la connaissance des champignons microscopiques et des parasites de toute sorte,
mais il a publié sur les champignons supérieurs deux ouvrages bien voisins de la perfection et qui supposent une clarté d'esprit peu commune : les deux volumes de son atlas aujourd'hui classique, et le texte général des Icones de Konrad, où se trouve mis au point l'ensemble actuel de nos connaissances d'une façon telle que ce livre est devenu un des trésors du mycologue, un répertoire qui serait une synthèse et une critique de tous les travaux préexistants, sans préjudice d'une originalité complète dans l'exposition et la disposition des matières.
Ensuite Gilbert, mycologue-philosophe, qui connaissait comme personne les Amanites et les Bolets, Malençon, dont la monographie sur les Tubéracées d'Europe semble définitive, et dont on attend un ouvrage d'ensemble sur les champignons d'Afrique du Nord.
Romagnesi, qui est peut-être l'homme au monde qui connaît le mieux les Russules, et qui vient de le prouver par sa monographie magistrale sur ce genre difficile, et qui a débrouillé le labyrinthe des Rhodophylles. Josserand, le plus impeccable micrographe de l'heure, et dont la méthode rigoureuse a débrouillé bien des énigmes. Henry, qui renouvelle l'étude des Cortinaires d'une façon quasi vertigineuse.
Enfin, les deux maîtres actuels de la Mycologie universelle, Roger Heim et Robert Kühner. Le premier, professeur au Muséum, s'est illustré par une thèse brillante sur les Inocybes et par d'innombrables travaux sur toutes espèces de champignons, mais surtout par ses recherches sur les champignons exotiques. De longues explorations dans les forêts de l'Afrique équatoriale et de Madagascar, en Amérique centrale aussi lui ont permis de combler d'importantes lacunes dans nos connaissances. On peut citer comme exemple ses études sur les Mycènes bolétoïdes et les Lactaires à anneau de Madagascar, et son travail si élégant sur les Lépiotes des termitières, où il a résolu un problème biologique stupéfiant qui, avant lui, avait inspiré toutes sortes de mythes.
Robert Kühner, lui, est avant tout un virtuose du laboratoire. Il a réalisé des quantités de cultures réputées impossibles et a pu faire ainsi des révélations sensationnelles sur les moeurs sexuelles des mycéliums. Mais c'est aussi un observateur de grande classe. Il l'a prouvé dans ses monographies sur les genres Mycena et Galera, dont on a pu dire qu'elles étaient exhaustives. Elles ont apporté dans des genres confus une clarté à peu près absolue et la possibilité de déterminer avec certitude n'importe quelle espèce. C'est là un phénomène extrêmement rare illustré définitivement par la fameuse Flore Analytique publiée en collaboration avec Romagnesi.
Je n'ai su ni tout citer ni tout dire. Ils sont trop ! A peine ai-je réussi à indiquer les principaux jalons, et mon dessein n'était pas d'établir un catalogue raisonné de tous les mycologues passés et contemporains. Si j'ai pu présenter au moins ceux qui, par l'étendue de leurs connaissances, l'originalité de leur pensée ou la pénétration de leurs vues, ont mérité l'estime des hommes de sens ; si cette présentation est capable de faire saisir au lecteur la difficulté des obstacles qu'a dû vaincre l'obstination passionnée des chercheurs successifs pour éclaircir les ténèbres d''une province botanique que les maîtres d'autrefois avaient négligée ; si, d'autre part, ce lecteur se laisse tenter par d'aussi illustres exemples à s'engager lui-même dans une carrière où l'attendent tant de surprises et où il pourra sans doute un jour ou l'autre faire entendre une voix utile et savante, je n'aurai pas en vain dépensé une peine qui fut aussi un plaisir, puisque l'esprit n'a pas de plus grand bonheur que de travailler à ce qu'il aime.
Georges Becker, La vie privée des Champignons
Stock 1952. In-12 broché, collection " Les livres de la nature ".Nombreuses photos N & B hors texte.198 pages.
Maloine editeurs, 1975, in 12 broché, couverture illustrée, 149 pages. Figures en n&b, planches photos en couleurs.